« Les têtards du Dr Schmidt »

Écrit par Catherine de Coppet Illustré par Léa Taillefert
« Les têtards du Dr Schmidt »
À Blaesheim, tout près de Strasbourg, le maire se bat pour la préservation des saules têtards, emblématiques des zones humides d’Alsace et témoins d’une époque où les villageois se chauffaient au bois.
Paru en septembre 2024
Article à retrouver dans cette revue
Le lobbying des mers
Revue XXI n°66
Le lobbying des mers
Enquête sur trois personnages emblématiques partis à la conquête des mers du globe.
Automne 2024

Quand vous sortez de Blaesheim par le sud, sur la D161, au troisième virage, vous ne pouvez pas les louper : on les reconnaît à leur tête ébouriffée. Il y en a une vingtaine, plantés le long du chemin qui mène à l’étang de pêche du Hanfbach. Ici, on est en plein dans la zone humide du village, typique de ce qu’on appelle le Ried alsacien, ces prairies inondables liées au tracé du Rhin avant son aménagement. Ces saules têtards mesurent entre deux et trois mètres de haut. Ils sont au moins centenaires, on le voit à leur large tronc. J’ai 73 ans, je suis né ici, et je les ai toujours connus.

Mes parents étaient agriculteurs-choucroutiers, comme moi après eux : nous transformions le chou sur l’exploitation. Mon fils continue le chou, mais il a arrêté l’usine. Je suis entré au conseil municipal en 1995 et suis maire depuis 2008 de ce village qui fait partie de l’eurométropole de Strasbourg. Avec d’autres communes, nous venons de décider du tracé d’une « Vitaboucle », une promenade de santé, qui passera le long des saules. Cet endroit a toujours été un lieu de balade. 

Un repère pour insectes et oiseaux

On les appelle « têtards » à cause de la forme des bourrelets en haut de leur tronc apparus au fil des années à force d’être élagués. Traditionnellement, ces saules étaient taillés en hiver, tous les dix ou quinze ans. On coupait toutes les branches, et les nouvelles repoussaient en forme de couronne. Avec le temps, le tronc s’élargit, certains se divisent même en deux. À l’origine, l’étêtage était pratiqué pour récupérer du bois de chauffage, car les branches repoussent beaucoup plus vite. Ce qui était intéressant pour l’homme s’est avéré bon pour la nature. En vieillissant, les troncs forment des cavités où l’on retrouve plein d’insectes, de mousses et d’oiseaux ! 

Un naturaliste qui a passé un bout de son enfance dans le village a d’ailleurs pris leur parti. Il les a photographiés, et défendu leur importance dans l’écosystème. Également médecin, il est décédé en 1989 et on parle désormais des « saules du Dr Schmidt ». 

De plus en plus négligés, ces arbres sont en danger !

Quand j’étais enfant, les habitants s’organisaient pour les couper eux-mêmes. Aujourd’hui, c’est très lourd pour une petite commune de 1 500 habitants comme la nôtre de les entretenir seule. Le risque, si on ne les étête pas régulièrement, c’est de voir le tronc casser sous le poids des branches. De plus en plus négligés, ces arbres sont en danger !

Alors on s’est tous mobilisés. En décembre dernier, on a enfin pu tailler les saules. Ça faisait une quinzaine d’années que personne ne l’avait fait ! L’association de pêche nous a donné un coup de main bénévolement sur une partie de l’élagage, et nous avons obtenu une subvention de 17 000 euros de la collectivité européenne d’Alsace pour faire le reste. Le patron de l’entreprise locale qui est intervenue, Pascal Maurer, a récupéré certaines branches pour les repiquer sur la commune de Muttersholtz, où a été ouverte la Maison de la nature du Ried dans les années 1970. À Blaesheim, nous en avons planté le long de l’Ehn – ils sont parfaits pour consolider les berges –, mais aussi sur la promenade, entre nos saules centenaires. Car même entretenus, ils ne sont pas éternels ! »

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