Du Texas au Yémen, d’une démocratie balbutiante à une superpuissance déchue, le photographe néerlandais Jan Banning a passé six ans, de 2002 à 2007, à photographier des fonctionnaires de huit pays. Il nous invite à un tour du monde des rituels et symboles du pouvoir étatique.
Du Texas au Yémen, d’une démocratie balbutiante à une superpuissance déchue, le photographe néerlandais Jan Banning a passé six ans, de 2002 à 2007, à photographier des fonctionnaires de huit pays. Il nous invite à un tour du monde des rituels et symboles du pouvoir étatique.
LIBÉRIA. Warford Weadatu administre un district de 5 000 habitants. À l’époque de cette photo, son pays émerge, exsangue, de quinze ans de guerre civile : il n’a pas de budget à gérer et n’a pas été payé depuis des mois. Il est censé percevoir 1 100 dollars libériens mensuels, une vingtaine d’euros. « Dans 95 % des administrations du monde, on trouve un bureau et trois chaises : une pour l’agent de l’État, les deux autres pour le public. Pas ici, faute de moyens. Au Libéria, les fonctionnaires apportent souvent leur propre mobilier », explique Jan Banning.
CHINE. Jiang Ji Yuan préside l’association des Arts et de la Littérature de Tai’an dans la province de Shandong. Il gagne 4 000 renminbis, soit un peu plus de 350 euros par mois. « La Chine a été un cauchemar, se souvient le photographe. J’étais flanqué d’une douzaine de personnes sans savoir qui étaient la moitié d’entre elles. Les autorités voulaient tout contrôler. À notre arrivée, les sols étaient à peine secs, et des ordinateurs dernier cri trônaient sur des bureaux lustrés », relate le photographe.
INDE. Munni Das est l’administrateur d’un « bloc de développement communautaire », entité administrative, dans le Bihar, un État de l’est du pays. Il touche 10 000 roupies par mois, soit un peu moins de 200 euros. « Il m’est arrivé, en Inde, d’entrer dans des bureaux de douze personnes, où absolument aucune n’était en train de travailler, relate le photographe. Certaines ronflaient, d’autres jouaient sur leur téléphone ou discutaient, comme si elles étaient là uniquement parce qu’un État qui se respecte se doit d’avoir une bureaucratie fournie, même si elle est désœuvrée. »
YÉMEN. Alham Abdulwaze Nuzeli travaille à l’antenne régionale du ministère des Finances du gouvernorat d’Al Mahwit, dans l’est du pays. La trentenaire gagne 12 000 rials par mois, soit environ 46 euros. « J’ai choisi de photographier les bureaucrates du Yémen car il n’y existe pas de frontière claire entre le politique et le religieux. Les agents sont peu payés et les administrations gangrénées par la corruption. La plupart des fonctionnaires passent très peu de temps à leur bureau. Du fait des rationnements, ils quittent leur poste à la mi-journée pour faire la queue au marché. »
RUSSIE. Nikolajevich Ilyich Volkov est fonctionnaire dans un village de la province de Tomsk. Il touche 9 000 roubles par mois, à peine plus de 240 euros. « Dans tous les bureaux de la région, il y avait ce même portrait de Vladimir Poutine. Cette photo officielle m’a beaucoup étonné. Cette pause alanguie du président, cet air un peu sexy : on aurait pu croire qu’elle avait été prise par un photographe américain ! », s’amuse le photographe néerlandais.
INDE. Sushma Prasad est assistante-greffière à Patna, la capitale de l’État de Bihar. Elle a été engagée par charité après la mort de son mari fonctionnaire. Elle gagne 5 000 roupies par mois, une petite centaine d’euros. « Dans la plus grande démocratie du monde, comme ailleurs, il est extrêmement rare qu’un bureau n’affiche aucun symbole du pouvoir étatique : un portrait officiel, un drapeau, un insigne, une devise… Mais cette femme occupe une position si basse dans la hiérarchie qu’on n’a, semble-t-il, pas daigné en équiper son lieu de travail », relate Jan Banning.
ÉTATS-UNIS. Rudy Flores est un « Texas ranger », un policier d’État. Son bureau est implanté à Palestine, dans le comté d’Anderson. Son grade d’officier lui rapporte 5 000 dollars mensuels, environ 3 800 euros. « Les Américains en général – et les Texans en particulier – n’aiment pas trop les impôts. Il y a donc peu de services publics. Pour les photos, les autorisations ont été plutôt simples à obtenir, mais il a fallu parfois faire des heures de voiture pour trouver trois fonctionnaires dans des bureaux à contrejour impossibles à photographier », se souvient Jan Banning.
BOLIVIE. David Ruiz Doro travaille au service des travaux publics de Potosi. Il pilote les projets de développement urbain et environnemental. Il gagne 2 400 bolivianos, un peu plus de 250 euros, chaque mois. Un poste à responsabilités. « J’ai été surpris de trouver des calendriers bardés de femmes nues dans les locaux d’une administration publique. Enfin, surtout la première fois. Ce bureau était très loin d’être un cas isolé en Bolivie. Et personne, hormis moi, ne semblait embarrassé », se souvient le photographe.