Sous l’horloge murale, flanqué de deux photographies de Montfleur aux beaux jours, le président Macron surplombe la salle, saint patron protégeant le village et les douces collines qui l’enveloppent. Assemblés autour de tables aux nappes rouge écarlate, le maire, Jean-Claude Nevers, et huit conseillers municipaux viennent de voter à l’unanimité la réduction de l’éclairage public. En cette soirée du 24 octobre 2022, le cénacle républicain s’apprête à délibérer sur le point suivant quand un klaxon retentit au dehors. Les minutes passent, le hurlement discontinu s’obstine. À l’extérieur, face aux élus médusés, les flammes sont en train de dévorer le pick-up de Michel Chavant, le premier adjoint. Le septuagénaire vide sur son véhicule les trois extincteurs à sa disposition, en vain.
Le lendemain matin, un peu après 9 heures, Jean-Claude Nevers, encore secoué, reçoit un appel du chef d’équipe chargé d’entretenir le cimetière communal. Il est sur place, et demande à l’élu de venir au plus vite. À son arrivée, le maire est accueilli par un message tagué en lettres capitales sur le panneau d’affichage de l’enceinte : « Nevers, pas touche aux morts. » À l’intérieur, une cible a été tracée sur la tombe du mari de Jacqueline Aurine, sa seconde adjointe. La stèle gît sur le sol. Un peu plus loin, une autre tombe a été vandalisée, recouverte d’un glaçant « Nevers, tu vas crever ». La sépulture est celle de la grand-mère du propriétaire du château où Jean-Claude Nevers a élu domicile depuis son arrivée dans le Jura il y a une quinzaine d’années.
La grande démission
Je me rends à Montfleur pour la première fois un mois après ces événements relatés par la presse locale. Dans un village de 165 habitants, une voiture incendiée et deux tombes profanées en une seule nuit, ce n’est déjà plus un simple fait divers. À cette époque, je sillonne la France pour un projet photographique consacré aux maires, et notamment au malaise grandissant dont ils se font l’écho.
Sans surprise, ceux de petites communes situées dans des territoires fragilisés se montrent les plus pessimistes. Isolés, particulièrement frappés par la baisse des dotations de l’État depuis 2014, ils sont aussi davantage exposés aux menaces, insultes et agressions physiques. Selon le ministère de l’Intérieur, en 2022, les plaintes et signalements déposés par des élus ont bondi de 32 %.
L’année suivante, la presse étrangère relaye même la démission choc du maire de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique) après l’incendie criminel perpétré à son domicile. Une décision loin d’être exceptionnelle puisque, selon une étude du Cevipof et de l’Association des maires de France, le nombre annuel de démissions d’édiles est passé de 129 à 417 entre 2008 et 2024.

Une mairie en flammes
Je retourne à Montfleur au printemps 2025, deux épais cahiers à spirale dans mon sac, avec l’idée de comprendre l’engrenage de la défiance. Car, depuis deux ans et demi, dans le village, « la passion a dépassé la raison », comme l’écrit un journaliste de Voix du Jura. Plaintes et dossiers judiciaires s’empilent de toutes parts ; intimidations et explosions de violence visant l’équipe municipale meurtrissent la commune par vagues.
Pour la plupart des habitants rencontrés, l’événement le plus traumatisant reste l’incendie de la mairie, dans la nuit du 26 janvier 2023, qui a obligé les élus à se replier pendant un an et demi dans la salle des fêtes. Les enquêteurs ont identifié deux départs de feu – deux tas de bois entreposés au sous-sol, dans un réduit accessible depuis le jardin à l’arrière. Aucune des enquêtes concernant le village n’a abouti à ce jour. Certaines ont été classées sans suite, faute de preuves. À un an des municipales de 2026, une ultime péripétie secoue la petite communauté : des élections partielles viennent de se tenir en mars, après que plusieurs conseillers victimes de menaces anonymes se sont résignés à démissionner.
Rideaux baissés
Blotti à la lisière de son département – le Jura – et de sa région – la Bourgogne-Franche-Comté –, Montfleur est un territoire de confins. Au-delà du cimetière, vers le sud, le voyageur fait ses premiers pas dans l’Ain, en Auvergne-Rhône-Alpes. Vers le nord, la D117, qui effleure le village, longe la vallée du Suran avant de poursuivre son chemin jusqu’à Lons-le-Saunier, la préfecture, située à plus de quarante kilomètres. En léger contrebas, l’imposante mairie a cessé d’abriter l’école primaire depuis 2003. L’étroite rue principale – en réalité, une impasse – se dévoile en surplomb, à l’abri des regards. Son chapelet de maisons pressées les unes contre les autres remonte en cascade avant de s’achever au pied de l’église.
Au-delà, le visiteur ne peut qu’imaginer le château, dissimulé par les arbres, tout comme il peine à identifier les bâtisses qui, dans les années 1970, accueillaient les deux épiceries, l’alimentation-tabac et le magasin de bricolage. Le salon de coiffure a baissé son rideau au début de l’année, après le départ à la retraite de la patronne. Ne subsiste que le restaurant, le Montfleuri. Les statistiques des quinze dernières années racontent un territoire où résidences secondaires et logements vacants sont devenus majoritaires et où les jeunes actifs s’évaporent. Quelques couples avec enfants s’installent de temps en temps, indique une habitante, mais « pour la plupart d’entre eux, c’est un village-dortoir ».
« Personne ne voulait être maire »
C’est ici, dans une région qu’il ne connaît pas, que Jean-Claude Nevers a décidé de prendre du recul à l’orée de la soixantaine en 2009, après une vie active bien remplie. Né en Charente-Maritime, il entre à l’école militaire de Saintes à 15 ans, puis enchaîne sept années au service de l’armée, avant de poursuivre une carrière civile d’ingénieur dans plusieurs pays. Il cite Paris, l’Italie, les États-Unis, un tas d’entreprises connues, autant de fonctions plus ou moins sibyllines.
L’ex-cadre aventurier fait désormais figure de repenti : « Pendant tout ce temps, j’ai contribué à déshumaniser les rapports entre les êtres. J’ai apporté ma pierre à un monde qu’aujourd’hui je rejette. » Son projet en arrivant à Montfleur : rénover le château, dont le propriétaire est l’un de ses amis. Quatre ans durant – « 8 500 heures », indique-t-il avec une déroutante précision –, il retape avec l’aide de plusieurs habitants la bâtisse défraîchie. Dans une aile, il aménage son nouvel appartement.
Décidément peu enclin au repos, le jeune retraité se laisse convaincre en 2014 de participer aux élections municipales. « Personne ne voulait être maire », insiste-t-il, pointant la crise de vocation à laquelle de nombreux villages sont confrontés. Il faut un successeur. Ce sera lui. Lors de notre première rencontre en 2022, l’élu me fait visiter le bâtiment de la mairie, qu’il a rafraîchi pièce après pièce – jusqu’à la toiture hors d’âge. Un tour du propriétaire que le gardien du temple conclut par un satisfecit de bon gestionnaire : « Lorsque j’ai été élu en 2014, les caisses de la commune étaient vides. En quelques années, j’ai réussi à dégager un excédent de plus de 100 000 euros. » Jean-Claude Nevers a toujours eu le goût des choses bien ordonnées.
Le ton monte entre la mairie et le Foyer rural
Pourtant, tout a dérapé rapidement. Pour le maire, le début de la guerre de tranchées remonte au printemps 2015 : « Jean-Yves Meunier, mon premier adjoint d’alors, qui est également vice-président du Foyer rural, a commencé à s’opposer de manière systématique. Des habitudes s’étaient ancrées hors du cadre légal. Ils n’ont pas supporté que je pose des limites. » D’un côté, le maire soutenu par quelques conseillers, de l’autre, les élus membres du Foyer rural – association qui, comme dans de nombreux villages, se veut le cœur battant de la vie sociale et culturelle locale. En septembre 2015, ils sont sept à démissionner du conseil municipal, remplacés par de nouveaux conseillers lors d’élections partielles.
Réélu en 2020, Jean-Claude Nevers se retrouve confronté à un climat de violence exacerbée et à des recours judiciaires qui paralysent tout projet. « Mais je ne démissionnerai pas », assure-t-il, inflexible. À son regard critique sur « une société de plus en plus dépersonnalisée, automatisée » est venu se mêler un sentiment de « solitude institutionnelle » en tant que maire. L’homme désabusé – mais sûr de son bon droit – a consigné ses analyses dans plusieurs essais aux titres évocateurs (La République des prétentieux, La Symphonie du nouveau monde…) où il décortique les manquements des élites en puisant dans son expérience d’élu.
J’étais copain avec toutes les personnes auxquelles je suis aujourd’hui opposé. L’été, on descendait à la rivière se baigner.
Michel Chavant, premier adjoint au maire de Montfleur
Michel Chavant, son premier adjoint, affiche la même lassitude. Ce fils et petit-fils de paysans du village, revenu au décès de ses parents, ne cache pas son amertume : « J’étais copain avec toutes les personnes auxquelles je suis aujourd’hui opposé. L’été, on descendait à la rivière se baigner, c’était le point de rencontre, se souvient le retraité émacié au regard doux. Ils ne supportent pas que je n’épouse pas leurs thèses. Je reste dans le camp du maire, car il est venu avec des idées. Pas pour faire de la figuration. »
Désormais, travailler avec le maire ou le soutenir est la garantie d’un aller simple pour les ennuis. Depuis l’incendie du pick-up du premier adjoint, les flammes ont jailli des capots à plusieurs reprises. En octobre 2024, c’est le SUV du conseiller municipal André Ackermann qui a pris feu. D’abord élu de l’opposition, il a par la suite rejoint l’équipe du maire. « Je n’ai pas basculé, insiste-t-il au téléphone. Je me suis juste rapproché de ceux qui veulent faire vivre le village. Si l’ambiance se dégrade encore, on songe sérieusement à revendre notre maison. »

Une chienne empoisonnée
D’autres ont déjà fait le choix de partir. Lorsque je contacte Cécile, la jeune femme accepte de me rencontrer, mais à une condition : que je ne révèle pas la nouvelle adresse de sa famille. Contrôleuse laitière, elle est la compagne de Guillaume, l’un des deux conseillers ayant démissionné récemment à la suite de menaces anonymes. Comme souvent, il est absent ce jour-là en raison de son métier. Il est routier.
Originaire du Nord, le couple s’installe à Montfleur en 2015. Ils croient alors avoir trouvé leur havre, une petite maison, avec un grand terrain pour accueillir les deux chevaux de Cécile. « Au début, j’ai fait la connaissance de tout le monde, et ça se passait bien », raconte la jeune femme, installée à la table de la cuisine. L’ambiance s’est dégradée en 2020, après l’élection de Guillaume aux côtés du maire : « Des gens se sont mis à ne plus nous parler. Un matin, j’ai vu que ma chienne ne se sentait pas bien. Je l’ai emmenée chez le véto. On a retrouvé une poudre blanche dans la boulette de viande qu’elle avait avalée. » Le 8 novembre 2023, Cécile découvre dans sa boîte aux lettres un message anonyme : « Démissionne du conseil et silence sur ce papier ou ta voitur et maison bruleron. »
En août 2024, huit mois après la démission de Guillaume, alors que la famille profite de ses vacances sur le lac Léman, la voiture restée devant leur maison est incendiée. Épuisé, le couple finit par déménager. « Mon fils de 5 ans ne veut plus que je passe en voiture par Montfleur. Il est traumatisé. Un jour, il m’a dit qu’il voulait devenir gendarme, pour mettre un coup de poing dans le cœur de celui qui nous a fait ça. »
L’affaire Nénesse
Dans la famille Foyer rural, je demande le vice-président : Jean-Yves Meunier, ancien premier adjoint, démissionnaire. Posté à droite de la porte d’entrée, le bureau de l’ancien employé d’EDF offre une vue imprenable sur la mairie. Sans attendre ma première question, il m’embarque sur le dossier Nénesse. L’affaire a défrayé la chronique locale pendant plusieurs années. Nénesse, comme tout le monde l’appelle à Montfleur, a hérité de la ferme familiale dans les années 1980. Lorsque Jean-Claude Nevers arrive à la mairie en 2014, l’exploitation est à la dérive. Les vaches divaguent dans le village et sur la départementale. Le cheptel, décimé par les maltraitances et les maladies, connaît certaines années un taux de mortalité dépassant les 20 %.
Jean-Claude Nevers se retrouve enlisé dans un bras de fer avec le paysan, qui va durer sept ans. Finalement, au petit matin du 12 janvier 2021, près d’une centaine de gendarmes et professionnels agricoles se déploient pour récupérer 352 vaches – la plus grosse saisie de bovins opérée en France. L’éleveur et son frère cogérant écopent d’une interdiction définitive de détenir des animaux d’élevage.
Projets « pharaoniques »
Jean-Yves Meunier admet que « Nénesse, il est têtu. On le connaît depuis l’école, il ne s’entend avec personne. Il a voulu être le plus gros, et il s’est retrouvé submergé ». Mais « le maire s’est acharné sur lui. Il a été zélé », reproche-t-il. Sur la table, un livre que je reconnais tout de suite trône au sommet d’une pile de dossiers visiblement sortis à mon intention : Du jamais vu en France, où Jean-Claude Nevers retrace son chemin de croix jusqu’à la saisie des vaches. Le retraité manie en tous sens l’ouvrage de son ennemi. Il finit par le brandir avec fébrilité. Parcourt ses pages abondamment surlignées : « Il y parle de moi, de mes méthodes CGT, il fabule. »
Jean-Yves Meunier ne digère pas non plus les tentatives de son adversaire de transformer les lieux qui ont compté pour lui depuis son enfance : la désormais vétuste maison Tignat, bâtiment communal où jadis les jeunes se retrouvaient, puis qui a hébergé le salon de coiffure pendant trente ans et que le maire a voulu remplacer par des logements ; ou encore les étages supérieurs du Montfleuri, à l’abandon, et que M. Nevers a envisagé de reconvertir en centre de kinésithérapie-balnéothérapie. Aucun de ces projets « pharaoniques », abandonnés à force d’opposition, n’a trouvé grâce à ses yeux : « Il a voulu gérer la commune comme une entreprise. »
À chaque fois qu’il y a un incendie, moi, je suis dans un bar. Et je paie en CB.
Jean-Louis Tissot, président du Foyer rural
Dans la salle de restaurant à Simandre-sur-Suran où il m’a donné rendez-vous, à une dizaine de kilomètres de Montfleur, Jean-Louis Tissot se présente, goguenard : « Je suis le va-t-en-guerre de mon clan. » Le président du Foyer rural – et unique élu d’opposition jusqu’aux élections partielles de mars, où quatre autres l’ont rejoint – m’a prévenu par texto : « On nous réserve un coin tranquille pour discuter. » Mission accomplie, la salle, quelques jours plus tôt remplie de déjeuneurs, est parfaitement vide.
Sous son épaisse chevelure bouclée et ses moustaches d’Obélix, l’ancien dessinateur industriel devenu professeur de construction, aujourd’hui à la retraite, attaque direct : « Pour Jean-Claude Nevers, Montfleur, c’est le centre du monde. » Se ravise aussitôt : « Enfin, pour moi aussi. C’est sans doute notre seul point commun. » Jean-Louis Tissot, lui, est né dans le village. Ses parents, des agriculteurs, « ont tout aménagé dans la salle des fêtes. Ce sont eux qui ont créé le club des anciens. Ils sont aussi à l’origine des côtelettes du 14-Juillet ».
Pour lui, le Foyer rural, qu’il a repris depuis une dizaine d’années, n’a commis qu’une seule entorse à la légalité : ne pas formuler de demande officielle lorsqu’il organise un événement. Année après année, ses manifestations se sont espacées. Là où son vice-président Jean-Yves Meunier reconnaît un « vieillissement de ses membres » et « l’absence de relève », Jean-Louis Tissot garde le cap : « Le maire a voulu tout sécuriser. » Et pointe, lorsque nous abordons la profanation du cimetière et les incendies à répétition : « À qui profite le crime ? » Après un silence, il glisse, malicieux : « À chaque fois qu’il y a un incendie, moi, je suis dans un bar. Et je paie en CB. »

Un cimetière sans repos
Entre deux entretiens, il m’arrive de trouver refuge au cimetière, pour y souffler un instant. Le lieu n’est pourtant pas de tout repos. Au cœur des crispations depuis plusieurs années, le royaume des morts déchire les vivants. En 2017, Jean-Claude Nevers entreprend d’y aménager un chemin d’accès destiné aux personnes à mobilité réduite et aux pompes funèbres. Sur le passage de la future allée se dressent des tombes en état d’abandon. Conseillée par un avocat en droit funéraire, la mairie plante des panneaux pour demander à d’éventuels proches de se signaler. Sans réaction. Une fois l’aval de la préfecture et les subventions obtenus, en 2021, les travaux commencent. Mais très vite, une voix s’élève : celle de Sophie Ferrouillet, qui part en guerre contre « ce manque de respect envers les morts ».
La secrétaire du Foyer rural, ancienne assistante de direction en reconversion, fait partie des conseillers d’opposition investis à la suite des récentes élections partielles. Après trois ans d’échauffourées, la quinquagénaire et deux autres requérants viennent d’obtenir gain de cause auprès du tribunal administratif de Besançon : le maire a été condamné à déterrer les restes situés sous le passage incriminé. Mais il compte faire appel. Dans la salle à manger familiale, entourée de ses parents, Sophie Ferrouillet affirme vouloir « reprendre la mairie » : « Je souhaite apporter davantage de transparence, précise-t-elle. Mais pour l’instant, mon combat, c’est le cimetière. »
Je pars au combat, et, sur mon char d’assaut, il n’y a pas de marche arrière.
Guy Reydellet, opposant au maire de Montfleur
Vent debout à ses côtés, Guy Reydellet est l’opposant incontournable que tout le monde m’incite à interviewer. Le fils des anciens épiciers du village, désormais à la retraite après avoir œuvré plus de vingt ans comme juge au tribunal de commerce de Bobigny, est devenu la bête noire à temps plein de Jean-Claude Nevers. Le septuagénaire procédurier mène sa croisade, depuis sa maison familiale de Montfleur ou son appartement parisien – « boulevard Malesherbes », précise-t-il comme on lâche une carte de visite. Après s’être attaqué pendant plusieurs années aux opposants du maire, notamment via un blog qu’il a depuis supprimé, le magistrat a changé de cible.
À l’origine de sa brouille avec l’édile, les commémorations de la Première Guerre mondiale de novembre 2018, un projet dans lequel Guy Reydellet s’investit, notamment en écrivant un livre d’histoire que la mairie finance. Mais en 2021, il reproche à M. Nevers de s’attribuer le mérite de ses recherches. Il l’invective par écrit : « Comment ai-je pu vous donner des éléments de longue recherche sur Internet et en bibliothèque pour vous permettre de vous faire briller sur mon dos ? »
Ce mail est sa déclaration de guerre. Dans un autre message, il appuie sur le champignon : « Je pars au combat, et, sur mon char d’assaut, il n’y a pas de marche arrière. Quand je fais la guerre, il n’y a pas de prisonniers. » Guy Reydellet est de tous les fronts, du cimetière aux panneaux photovoltaïques qui « vont détruire nos paysages », en passant par le dossier balnéothérapie au Montfleuri… « Mon village, je l’ai dans les tripes. J’en voulais déjà aux élus à l’âge de 7 ans, quand ils comptaient draguer le Suran », assure-t-il, avant de livrer sa théorie sur la bonne gouvernance locale : « Aux municipales de 2020, il y avait la liste des locataires et celle des propriétaires, c’est-à-dire ceux qui ont une attache dans le village. On idéalise les compétences. L’essentiel, c’est l’ancrage local. Il faut des gens qui connaissent le pays. » Ce qui n’a pas empêché Guy Reydellet de voter pour la liste de Jean-Claude Nevers. Mais ça, c’était avant la brouille.
« Comportements puérils »
L’ancienne secrétaire de la mairie incarne peut-être mieux que quiconque le malaise qui s’est emparé du village. Assise à la table de la salle à manger, au cœur de la maison où elle est née il y a soixante-quatre ans, Nadine Jenoudet tient à s’expliquer sur un point précis – et inattendu : la raison pour laquelle elle a refusé son pot de départ. Ou comment elle a fini par se sentir exclue : « Peu à peu, le maire n’a plus eu confiance en moi. Avec son équipe, ils ne disaient plus rien en ma présence. Tous ceux à qui M. Nevers est opposé, ce sont mes copains d’enfance. Je me sentais oppressée, entre les deux camps. » Lassée de toutes ces histoires, elle compte bien profiter de sa retraite. Et, pour rien au monde, elle ne deviendrait maire, malgré l’insistance de plusieurs opposants : « Ils me demandent tout le temps que je me présente l’an prochain. Mais je suis plus une administrative qu’une politique. Je leur ai dit non. »
En attendant le prochain scrutin, Montfleur traîne comme un boulet sa réputation de « petit Chicago du Jura », comme le formule, amère, une habitante qui tient à garder l’anonymat : « Dans les environs, on me demande souvent en rigolant ce qui a encore brûlé. Ça les fait marrer. Ils ne se rendent pas compte que, pour nous, c’est dur. » À Lons-le-Saunier, le village se rappelle aussi régulièrement au bon souvenir des autorités. Maxime Gutzwiller, le directeur de cabinet du préfet, affirme crouler sous les requêtes de MM. Nevers et Reydellet. Il évoque « des comportements puérils », tout en concédant que « les conséquences ne sont pas anodines » : « On s’est déplacés l’an dernier avec la sous-préfète lors d’un conseil municipal, pour rappeler qu’on pouvait être en désaccord avec le maire sans se montrer violents. » Avant de conclure, dans un rire : « Bon, je vous laisse. J’ai 492 communes qui m’attendent. »