Les jeux vidéo ont leurs champions. Des joueurs d’élite recrutés par des clubs dédiés et sponsorisés par de grandes entreprises, pour concourir dans des compétitions suivies dans le monde entier. Cet univers parallèle a intrigué le photographe Guy Leroy, à l’origine un parfait néophyte, qui a embarqué dans les coulisses de deux écuries de haut niveau, le club français GameWard à Boulogne-Billancourt et l’équipe suisse Team BDS, à Genève.
Il faut s’y habituer : on ne désigne pas les joueurs professionnels de jeux vidéo par leur nom mais par leur pseudonyme en ligne. Pride, Peng, Ziccsi, Matias et Steelback forment l’équipe française GameWard, présente en première division nationale du jeu League of Legends . Le photographe a assisté à leur « bootcamp » , une phase de préparation intensive où les joueurs se retrouvent en personne dans les locaux du club pour affiner leurs stratégies et cultiver leur jeu en équipe. « L’ambiance est très sérieuse » , a constaté Guy Leroy à qui il a été demandé de se faire le plus discret possible, « Ils sont à fond et ils ont la niaque » . La pause déjeuner intervient après une matinée de « media day » , où les joueurs ont enchaîné les prises de vue pour alimenter les contenus promotionnels du club et de ses sponsors. Peng, le benjamin de l’équipe, Sino-Suédois de 20 ans, raconte en anglais des blagues à la cantonade. Malgré l’apparente détente de l’ambiance, l’alimentation des joueurs professionnels fait l’objet d’une attention particulière. Leur manager et coach joue aussi le rôle de diététicien et conseille des repas adaptés à leurs besoins énergétiques. Pour se préparer à une compétition, rien ne remplace les « scrims » . Ces sessions d’entraînement établies conjointement par deux équipes professionnelles de niveau équivalent permettent d’expérimenter leurs stratégies dans des conditions proches de la compétition. Ici, GameWard « scrime » avec une équipe de première division italienne sous les yeux de leur coach (au premier plan). À l’occasion de la reprise du championnat, GameWard organise une « viewing party » : un visionnage auquel fans et amis sont invités. L’événement est organisé grâce au partenariat avec la mairie de Boulogne-Billancourt et le Crédit agricole. Contrairement à leurs homologues du sport traditionnel, les clubs d’esport ne touchent pas de droits télévisés sur la diffusion des matchs et dépendent donc des sponsors pour leur équilibre budgétaire. Ce jour-là, GameWard a subi une cuisante défaite contre Gentle Mates, le club fondé en 2023 par la superstar d’Internet Lucas Hauchard, dit Squeezie. « À mon âge, je suis déjà un vieux, alors je dois m’entraîner deux fois plus pour le même résultat » , a confié Evan Rogez au photographe, au siège du club qui l’emploie à Genève, Team BDS. Pourtant, « Monkey Moon » , professionnel du jeu Rocket League, n’a que 22 ans. Dans l’esport, la compétition n’attend pas le nombre des années : ce natif de Douai concourt depuis ses 16 ans et sent le passage de l’âge, tant sur l’exécution des gestes techniques que dans la capacité d’apprentissage. Cela ne l’a pas empêché d’obtenir son deuxième titre de champion du monde au Texas en septembre dernier (2024). « Un mec très simple, avec son bon accent du Nord, a apprécié le photographe lillois. Je n’imaginais pas du tout que je parlais avec le meilleur joueur du monde » .Juin 2024 : ces gamers sont à Londres pour une compétition très attendue du circuit professionnel de Rocket League, le Major 2. À tout juste 16 ans, le Marocain Dralii (tout à droite) ne se déplace jamais sans son grand frère (à l’arrière du groupe), venu spécialement du Canada où il réside pour veiller sur l’adolescent virtuose. Il ne faut pas se fier à l’apparente nonchalance d’Exotiik, âgé de 21 ans, qui a oublié de quitter ses chaussons noirs avant le départ de l’hôtel : il sera sacré meilleur joueur de la saison régulière après le triomphe aux championnats du monde. Quant à Monkey Moon, au centre de l’équipage, il joue au sein du groupe le rôle de vétéran. Construite en 2012 à Londres en prévision des Jeux olympiques, la Copper Box Arena a été initialement conçue pour accueillir des compétitions d’escrime ou de handball. Ce 20 juin 2024, ce sont des joueurs professionnels de Rocket League qui s’y livrent bataille sous les encouragements des 7 000 spectateurs. Rocket League consiste en un mélange explosif de football et d’auto-tamponneuse : deux équipes de trois joueurs s’affrontent au volant de voitures nerveuses pour le contrôle d’un ballon rebondissant aux quatre coins du terrain. Selon les données de la plate-forme Steam, environ 300 000 joueurs sont connectés simultanément à travers le monde.Les trois joueurs de Team BDS, MonkeyMoon, Dralii et Exotiik sont en lice pour accéder au dernier carré du Major de Londres, tournoi majeur du circuit professionnel de Rocket League . Les équipes se disputent un prix total de 255 000 dollars : 75 000 iront au club vainqueur, 46 000 au finaliste et le reste sera partagé entre les équipes classées de la 3e à la 16e place. Ce jour-là, la formation suisse doit s’incliner dès les quarts de finale. Intraitable, leur ennemi du jour, le trio de l’équipe française Gentle Mates, sponsorisé par le constructeur automobile Alpine, les a écrasés par quatre manches à zéro. Dans les tribunes, les supporters du club Gentle Mates s’époumonent devant leurs joueurs victorieux. Ils sont des centaines à avoir fait le déplacement depuis la France pour assister aux matchs de leur équipe de cœur. Leur passion représente un investissement, car au prix du voyage à Londres et du logement s’ajoute celui du billet, entre 50 et 100 euros selon le placement. Le parcours victorieux de leurs champions sera malheureusement interrompu en demi-finale par l’équipe saoudienne Team Falcons.