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« Comment vit-on de jouer à la guerre lorsque l’on a fui un pays en guerre ? »

Écrit par Camille Drouet Chades

Pendant douze ans, Debi Cornwall a été avocate spécialiste des droits humains. En 2013, elle a troqué le barreau pour l’appareil photo et entamé un travail documentaire sur la base américaine de Guantanamo. Lors de ses visites successives, elle est constamment sous escorte. Pour supporter leur présence permanente sur ses talons, elle discute avec les soldats et découvre deux choses : tous ont servi à l’étranger et aucun ne trouve le sommeil. « Je me suis demandé comment ces hommes et ces femmes se préparaient à partir loin de chez eux avec la possibilité de tuer ou d’être tués. »

C’est ainsi qu’elle découvre les bases qui mettent en scène ces jeux de guerre, et les figurants qui y interprètent leurs propres rôles. Un nouvelle question l’assaille alors : « Comment vit-on de jouer à la guerre – même fausse – lorsque l’on a fui un pays en guerre ? » Pendant quatre ans, elle arpente dix bases différentes en Californie – dont celle de Twentynine Palms – mais aussi au Texas, au Nouveau-Mexique, dans le Wisconsin ou en Louisiane.

D’autres lui restent désespérément closes. « Rien que trouver à quelle autorité compétente demander l’accès est en soi très difficile (les marines, l’armée américaine, etc.). Puis une fois que j’avais eu l’aval au niveau fédéral, il fallait négocier avec chaque base au niveau local », rapporte la photographe. Et malgré des séjours d’une semaine minimum, jamais elle n’a pu assister aux entraînements nocturnes, très fréquents.

Voitures en 2D et fromage en plastique

Parfois, elle se retrouve à faire partie du décor : alors que de fausses explosions retentissent au loin, des soldats ou des figurants interagissent avec elle, comme si elle était photographe de guerre. « Pourquoi pas ? Vu qu’ils seront probablement amenés à croiser de vrais photojournalistes sur le terrain. »

La quinquagénaire est frappée par le réalisme de ces expériences immersives, ces « fictions nécessaires » qui donneront leur nom à son livre Necessary Fictions (éd. Radius, 2020). Elle s’intéresse aussi aux petits décalages, ces fausses voitures en deux dimensions, ces portions de fromage en plastique, ces moutons en carton-pâte disséminés çà et là dans le désert ou ces portes qui ne débouchent sur rien : tous ces petits détails qui rendent l’ensemble vrai de loin, mais loin d’être vrai.

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