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« Dans les beaux quartiers, pas de policiers »

Écrit par Camille Drouet Chades Photos par Lindokuhle Sobekwa
Le Sud-Africain Lindokuhle Sobekwa photographie les défis quotidiens des habitants du township de son enfance, confrontés au confinement.
Dans les coulisses du récit L’impossible confinement en Afrique du Sud

Quand le Covid-19 commence à faire les gros titres de la presse mondiale, fin février 2020, Lindokuhle Sobekwa est aux États-Unis. Il s’apprête à participer à un atelier de l’agence Magnum… qui n’aura jamais lieu. Il épluche les nouvelles sur ce virus qu’on ne comprend pas, mais qui semble se répandre au gré des longs courriers, pointant du doigt ceux qui parcourent la planète. « Les frontières vont fermer, alors je saute dans un avion pour rentrer auprès des miens. » À son arrivée, il doit respecter une quarantaine, imposée aux voyageurs par les autorités.

À l’époque, le photographe de 24 ans habite encore à Tokhoza, le township qui l’a vu grandir. « Les logements y sont minuscules. Impossible de m’isoler. Je m’installe finalement chez un ami en banlieue de Johannesburg. » Pendant dix jours, seul dans une chambre, Lindokuhle Sobekwa reçoit les nouvelles de ses proches restés au township. Le président Cyril Ramaphosa prend la parole : le confinement est proche, et avec lui, son cortège de restrictions. Via des boucles WhatsApp, le photographe lit comment son quartier essaie, en vain, de s’adapter aux règles sanitaires annoncées par le gouvernement. Et à quel point la désinformation – nourrie à la défiance des autorités – fait son œuvre.

« Le masque sous le nez »

Mort d’ennui, il finit par braver son dernier jour d’isolement pour voir comment son pays réagit au virus. « Dans les beaux quartiers, ça n’a rien à voir avec ce que j’ai lu et vu sur mon téléphone. Pas de coupures d’électricité. Pas de policiers. Il y a une certaine liberté de mouvement et les infrastructures qui permettent de respecter les mesures d’hygiène. » L’injustice sociale et les inégalités qui gangrènent de longue date son pays deviennent d’autant plus flagrantes. Comment une famille nombreuse peut-elle se confiner en restant à bonne distance dans un deux-pièces, et se laver les mains régulièrement sans eau courante ? « Après avoir vécu le début de la pandémie, en l’espace de quelques semaines, aux États-Unis, dans la banlieue riche de Johannesburg, puis dans mon township de Tokhoza, j’ai ressenti le besoin de documenter ces différences, les difficultés exacerbées par la pandémie. »

Sa carte de presse lui permet d’aller et venir presque à sa guise. Mais certaines portes resteront désespérément closes, malgré les demandes. « Je n’ai pas eu accès aux hôpitaux en crise, aux morgues surchargées ou aux écoles. » Il a beau être enregistré sur une liste de journalistes, il est sans cesse contrôlé par les policiers. « Ceux-ci n’appréciaient pas d’être pris en photo, surtout avec leurs masques constamment sous le nez. Cela pouvait valoir quelques coups. »

À la manière d’un journal de bord, le photographe documente aussi son quotidien. Comme ce jour de mai 2020 où lui et ses acolytes de confinement découvrent, en même temps que le monde entier, la vidéo de la mort de George Floyd (photo ci-dessus). Un soir d’énième coupure d’électricité, le calvaire de ce Noir américain tué par un policier à Minneapolis s’est affiché sur les portables, éclairant des visages atterrés. « À Tokhoza, ce déchaînement de violence policière raciste a résonné d’une façon particulière », ranimant le souvenir encore vivace de la mort de Collins Khosa, tué quelques semaines plus tôt par des policiers dans un autre township de Johannesburg.

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