Entretien  |  Pouvoirs

« La pêche industrielle est sous perfusion de l’État »

Écrit par Barnabé Binctin
Pour Didier Gascuel, qui étudie l’impact de la pêche et du changement climatique sur les écosystèmes marins, les petits pêcheurs sont plus rentables que les chalutiers industriels.

XXI : Que recouvre précisément le terme de pêche artisanale ?

Deux définitions cohabitent. La première estime que si le capitaine du bateau est le propriétaire, alors il s’agit de pêche artisanale ; dans cette acception, la pêche industrielle désigne les navires appartenant à des capitaux extérieurs. Les professionnels et l’administration restent attachés à cette définition car elle permet de classer la plupart des chalutiers dans la pêche artisanale. La deuxième, utilisée par la FAO et la plupart des ONG, qualifie d’artisanaux les bateaux d’une longueur de douze mètres maximum utilisant les « arts dormants » – les lignes, les casiers, les filets. Pour ma part, je préfère parler de « petite pêche côtière ».

Pourquoi en appelez-vous à la « déchalutisation » ?

Le chalut de fond implique de gros moteurs qui consomment beaucoup de gasoil – entre un et deux litres pour un kilo de poisson pêché – et a donc un bilan carbone catastrophique. Son utilisation a également de lourdes conséquences sur la ressource car elle n’est pas sélective, et occasionne la capture de nombreux juvéniles et d’espèces déjà victimes de surpêche. Surtout, le chalut de fond a des impacts considérables sur les fonds marins, qui sont essentiels dans la chaîne alimentaire de l’écosystème.

Quel est aujourd’hui l’état de cette biodiversité marine ?

Il n’est pas exagéré de parler de crise de la biodiversité, avec une érosion qui atteint un seuil critique. Plusieurs populations marines sont en effondrement, comme la morue en mer du Nord, les soles dans le golfe de Gascogne, le crabe, les bulots, etc. Il est urgent de rehausser nos normes de gestion, pas assez précautionneuses. 

La petite pêche côtière peut-elle être aussi rentable que la pêche dite industrielle ?

Contrairement à une idée reçue, les grands chaluts industriels sont trois à quatre fois moins rentables que les petits pêcheurs côtiers. L’excédent brut d’exploitation des bateaux de plus de 24 mètres est inférieur aux volumes des subventions accordées au titre de la détaxe sur le gasoil. Autrement dit, la rentabilité des flottilles industrielles est artificielle. Elles feraient faillite si elles n’étaient pas sous perfusion de l’État. Outre le coût environnemental, c’est d’autant plus regrettable qu’elles génèrent beaucoup moins d’emplois dans la filière. Les arts dormants dégagent une valeur ajoutée deux fois plus grande par tonne débarquée. 

Est-il possible d’envisager une pêche sans gros chalutiers ?

Absolument. Il est tout à fait possible d’envisager un avenir post-chalut, avec une gestion plus résiliente des écosystèmes. On peut imaginer un cercle vertueux, avec une mer repeuplée et une pêche qui maximise l’utilité sociale de ses prélèvements, riche en emplois et en débouchés pour la filière. La pêche a un rôle d’aménagement du territoire : là où elle a disparu, elle laisse des territoires abandonnés à une grande désespérance économique et sociale.

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