Entretien  |  Aventures

« Le sanglier a été désanimalisé »

Écrit par Ramsès Kefi
Raphaël Mathevet, écologue et géographe, est directeur de recherches au CNRS. Il travaille, entre autres, sur la conservation de la biodiversité et a cosigné « Sangliers, géographies d’un animal politique ». Il analyse les liens qui unissent l’ongulé à l’homme depuis l’Antiquité.

Le sanglier est-il le mal aimé de la forêt ?

Les protecteurs de la nature parlent des cerfs, des chevreuils, des mouflons, des bouquetins, mais rarement du sanglier, comme si cet animal n’était plus une véritable composante de la biodiversité. Le sanglier a été effectivement « transformé » pour répondre aux besoins de la chasse dans les années 1970, quand le petit gibier – lièvres et lapins – a été victime de la modernisation de l’agriculture et de l’usage de certains produits sur les terres. À cette époque, il a été élevé et lâché pour être chassé, en conservant les jeunes reproducteurs et les reproductrices. Mais, depuis les années 2000, le sanglier est devenu un problème, en raison des dégâts croissants qu’il cause dans les champs. Il est même devenu un souci pour les chasseurs ! Leurs fédérations doivent dédommager les exploitants agricoles pour ses ravages à partir d’un certain seuil – c’est inscrit dans la loi de finances. Alors ils sont sommés de tuer toujours plus de sangliers. Ce qui ne correspond pas à l’essence même de la chasse.

Quelle est l’essence même de la chasse ?

L’animal doit avoir une chance de s’échapper et le chasseur, le choix de tirer ou de renoncer. Tuer en masse des animaux – 800 000 sangliers sont éliminés tous les ans – transforme les chasseurs en opérateurs de destruction de la faune dite « à problème ». Cela induit une forme de « désanimalisation » de cet être vivant, qui n’est plus respecté ni traité comme tel. Ce qui implique, depuis qu’il est considéré comme « un problème », d’abattre les marcassins et les femelles. Le sanglier est pourtant une espèce avec des facultés de vivacité et d’adaptation incroyables. Contrairement au chevreuil, il se défend. Il ne recule pas, il se bagarre contre les chiens. Historiquement, le tuer a toujours été un acte de combativité. Simplement, aujourd’hui, il dérange. Du fait de nos interventions multiples sur sa reproduction et son habitat, il n’est plus tout à fait sauvage sans pour autant être tout à fait domestique.     

Que signifie ce terme de « régulation » ?

La possibilité de « réguler » signifie qu’il y aurait un état de référence sur lequel se fonder. Mais lequel ? Celui-ci diffère selon la capacité d’accueil des territoires. Avec le terme de « régulation », on nie l’individualité du sanglier. On ne questionne plus sa relation à la mort, à la douleur, son caractère propre et ses modes d’existence. L’envisager comme « une masse animale qui déborde » autorise sa destruction. Dans notre imaginaire, le sanglier est une espèce surabondante et banalisée – une espèce des pare-chocs, des bords de routes et des parties de chasse. La facilité serait d’accuser les chasseurs d’avoir joué aux apprentis sorciers en favorisant sa reproduction sans pouvoir désormais la contrôler. Or le « problème » est toujours multifactoriel. La forêt, qui fournit des fruits, progresse sur les versants escarpés et attire les animaux. Aussi, le changement climatique entraîne des hivers plus doux et une mortalité naturelle plus faible. C’est à prendre en compte dans la mobilité des bêtes. Autant que la crise des vocations et le manque de revenus dans certaines fédérations de chasse.                                                                                                         

Quand le sanglier a-t-il été respecté ?                     

Quand il était rare, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. De grands naturalistes l’ont recherché pour l’observer, comme le Suisse Robert Hainard. Avant les années 1960, le sanglier était également convoité par les chasseurs, mais d’une autre manière. Il était le symbole du « sauvage ». Dans les années 1980 et 1990, il s’est banalisé du fait de sa démultiplication et du retour du loup, qui a, en quelque sorte, accaparé toute l’attention. Toujours est-il que la figure du sanglier a traversé l’histoire, et ce, depuis l’Antiquité. Dans la mythologie grecque, il était craint car envoyé par les déesses pour punir les villageois de l’insuffisance des prémices – des offrandes religieuses.

C’est aussi un animal de journaux, chroniqué chaque fois qu’il entre dans les villes.

Il n’a pas toujours été très éloigné de l’homme, en réalité. Au Moyen Âge, il s’approchait des fermes et des villages, s’accouplait avec les truies des élevages en semi-liberté. Pendant le confinement s’est popularisée une expression quand un animal apparaissait au milieu des immeubles : « La nature s’invite en ville. » C’est l’inverse, pourtant. Avec l’étalement urbain, bien souvent, c’est la ville qui s’invite dans les territoires des animaux sauvages et les campagnes.

Explorer le thème
Politique
portrait de Julie Neveux
Octobre 2025
« Travailler comme des chevaux de trait » : au Japon, une injonction bourrine
Une chronique de Julie Neveux – où l’on parle d’une Dame de fer, de violence verbale et d’épuisement.
D’un trait  |  Octobre 2025
portrait de James Stone
Octobre 2025
Le très discret magnat américain derrière Gabriel Zucman
James Stone, assureur millionnaire, soutient l’idée d’une taxe sur les milliardaires. Il est de ceux qui financent les recherches de l’économiste français.
Portrait  |  Octobre 2025 | Pouvoirs
portrait de Ramsès Kefi
Octobre 2025
La minute papillon des ministres de Macron
Une chronique de Ramsès Kefi – où l’on parle de l’Olympique de Marseille, d’une affaire de sextape à Saint-Étienne et de cookies au chocolat blanc.
D’un trait  |  Octobre 2025
une foule en pleurs
Octobre 2025
Les orphelins de Charlie Kirk flashés en plein choc
Avec ces larmes des fans de l’icône réac assassinée, Sinna Nasseri convoque les images d’un autre meurtre : celui du progressiste Bobby Kennedy, en 1968.
Coup d’œil  |  Octobre 2025 | Pouvoirs
portrait de Julie Martinez sur fond d’Assemblée nationale
Septembre 2025
Julie Martinez, une « hobbit » socialiste made in Palantir
La nouvelle porte-parole du PS exerce chez le géant américain de la surveillance numérique. Portrait d’une femme qui ne craint pas les contradictions.
Portrait  |  Septembre 2025 | Pouvoirs
dessin d’un village avec des vaches et une mairie en flammes
Septembre 2025
Montfleur, un « petit Chicago » au cœur du Jura
Menaces de mort, tombes profanées, mairie incendiée… XXI raconte la crise qui enfle depuis dix ans dans ce petit village. Comme une démocratie qui vacille.
Enquête  |  Septembre 2025 | Pouvoirs
mur couvert d’écrans dans les dorures d’un lieu de pouvoir
Juillet 2025
TikTok et Leboncoin, boules de cristal de l’Élysée
La présidence française appuie sa politique sur le « social listening ». Objectif : décortiquer les réseaux et y dénicher les tendances qui font le buzz.
Enquête  |  Juillet 2025 | Algorithmes
visages superposés des présidents de la République française
Juillet 2025
Les visages du pouvoir
Les photographes Patrik Budenz et Birte Zellentin ont superposé un siècle de dirigeants, dans 199 pays différents. Que reste-t-il du passage du temps ?
Coup d’œil  |  Juillet 2025 | Pouvoirs
manifestant turc avec masque à gaz et bonnet de derviche
Avril 2025
Un derviche dans le brouillard des lacrymos
Au cœur d’une manifestation à Istanbul, un étrange personnage entame une danse devant les CRS turcs. Une image puissante du photographe Murad Sezer.
Coup d’œil  |  Avril 2025 | Pouvoirs
dessin d’énarques sportifs
Avril 2025
Les énarques en mode abdos fessiers
Pour mieux préparer les hauts fonctionnaires à un monde en crise, l’ENA (devenue INSP) s’appuie à fond sur le sport. Du yoga au parcours du combattant.
Enquête  |  Avril 2025 | Pouvoirs