L’indian relay est le sport extrême le plus ancien d’Amérique, une pratique guerrière devenue compétition sportive. Source de fierté pour les communautés autochtones, il gagne en popularité à travers les États-Unis. La photographe Chloé Kerleroux se passionne depuis 2022 pour ces cavaliers amérindiens et leurs familles, qui tracent un chemin d’émancipation.
L’indian relay est le sport extrême le plus ancien d’Amérique, une pratique guerrière devenue compétition sportive. Source de fierté pour les communautés autochtones, il gagne en popularité à travers les États-Unis. La photographe Chloé Kerleroux se passionne depuis 2022 pour ces cavaliers amérindiens et leurs familles, qui tracent un chemin d’émancipation.
Dans les courses d’indian relay, tout se joue à quelques secondes près. Ce jeune de la nation Blackfeet, l’une des communautés autochtones d’Amérique du Nord, doit sauter sur un cheval à cru – c’est-à-dire sans selle – avant de repartir immédiatement. C’est la règle phare de ce sport extrême : les cavaliers doivent boucler trois tours de piste le plus vite possible, en changeant de monture à chaque passage. Étoile montante de cette discipline, Cody Carlson a été photographié ici lors d’une compétition dans la ville de Shelby (Montana) en 2022. Il avait alors 19 ans. L’indian relay se pratique en équipe de quatre : en plus du cavalier, deux membres réceptionnent le premier cheval qui termine son tour à pleine vitesse et un troisième aide le suivant à s’élancer. Sur cette photo, c’est le père de Cody qui tient ce rôle. « C’est un sport dangereux », précise la photographe Chloé Kerleroux, qui s’est rendue en 2022 et 2024 sur le territoire Blackfeet pour suivre l’équipe des Carlson.L’indian relay est pratiqué par différentes nations amérindiennes qui s’affrontent lors de tournois. Les cavaliers les plus expérimentés s’entraînent dès l’enfance et peuvent d’abord concourir sur des poneys. Ici, lors de cette compétition amateur de Shelby, le vainqueur de la catégorie enfants parade fièrement. Ces rassemblements sont organisés l’été, à l’origine surtout dans les Plaines du nord des États-Unis, comme en Idaho où a lieu chaque année le tournoi le plus important. Mais depuis quelques années, l’indian relay gagne en popularité dans le reste du pays et au Canada, et s’invite en marge des compétitions traditionnelles de rodéo, moins spectaculaires et en perte de vitesse. Entre 2022 et 2024, Chloé Kerleroux a remarqué une évolution du phénomène : « C’est un sport de plus en plus prisé, avec des formations féminines toujours plus nombreuses, raconte la photographe. Une école d’indian relay a même ouvert ses portes au Canada. »Après la course, les équipes lavent les chevaux, les massent et rangent le matériel. Leurs proches patientent, improvisent un baseball ou quelques dérapages de voiture sur la terre battue. L’indian relay se pratique souvent en famille. Les Carlson n’auront qu’une heure de route pour rentrer à leur ranch dans la réserve des Blackfeet depuis Shelby. « C’est une petite ville industrielle multiculturelle, décrit Chloé Kerleroux. Beaucoup de Natifs [autochtones] y vivent, mais on y croise aussi des huttérites [chrétiens protestants] et on voit des drapeaux confédérés ici ou là… » Dans les villes aux abords des réserves, le racisme envers les autochtones est tangible. Mais dans le cadre de l’indian relay, les tensions semblent s’estomper : il n’est pas rare de voir, au cours d’enchères enflammées, un public mixte enchaîner les paris. Les vainqueurs peuvent empocher jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de dollars, mais personne ne vit de ce sport : l’achat et l’entretien des chevaux coûtent cher. Certains cavaliers sont repérés lors des tournois et recrutés comme jockeys. « L’indian relay peut servir d’échappatoire à la vie dans les réserves, où le taux de chômage est très élevé », constate la photographe.
Un membre de l’équipe d’indian relay de Cody Carlson dévoile ses tatouages. On y aperçoit la montagne Ninaistako ou Chief Mountain (« montagne du chef », en anglais), qui domine la réserve de la nation Blackfeet et reste un élément central des cérémonies de la tribu. Autrefois l’une des plus puissantes d’Amérique du Nord, cette nation a vu son territoire se réduire depuis la colonisation à partir du XIVe siècle. Connus dans l’histoire pour leur résistance face aux colons, à laquelle ces derniers ont répondu par d’atroces famines et massacres, les Blackfeet vivent aujourd’hui dans une réserve au pied des Rocheuses, dans le Montana. L’indian relay est un sport ancestral qui trouve ses origines dans une pratique guerrière des tribus des Plaines : pendant leurs déplacements, les combattants changeaient de chevaux pour aller plus vite, en volant des montures à leurs ennemis pendant la nuit. Les cavaliers actuels se surnomment d’ailleurs « guerriers ». Les premières compétitions sportives ont vu le jour au début du XXe siècle.La réserve actuelle des Blackfeet a une superficie équivalente à celle du département de la Savoie. Une petite partie de ses 10 000 habitants vit dans le village de Browning (Montana), le centre administratif de la réserve, mais la plupart sont éparpillés aux quatre coins de cet immense territoire sauvage et isolé. Le ranch des Carlson accueille une trentaine de chevaux, dont la moitié sont des pur-sang sélectionnés à travers les États-Unis. Dans cette famille Blackfeet, on pratique l’indian relay de père en fils depuis six générations. L’équipe s’entraîne tous les jours. Ce sport exigeant requiert régularité et rigueur, et un soin constant des bêtes, en toute saison.Le jour de février 2024 où Chloé Kerleroux a pris cette photo, le thermomètre affichait −28 °C à Browning. « C’est l’une des régions des États-Unis qui connaît les hivers les plus rudes, les températures peuvent chuter à −48 °C », raconte la photographe, qui ne s’attendait pas à un froid si extrême pendant sa seconde visite. Immobilisé après une grave chute lors d’une compétition l’été précédent, Cody Carlson a dû mettre sur pause sa carrière de cavalier. Depuis, il entraîne son petit frère, Jesse, qui a pris la relève. Le nouvel espoir des Carlson pose ici avec plusieurs membres de son équipe d’indian relay. Alors qu’ils commandent un café à emporter, les jeunes garçons décrivent à la photographe ces interminables hivers – les températures négatives peuvent durer d’octobre à avril – comme des périodes où ils sont « coincés en mode survie ».En passant devant le Tipi Espresso, Chloé Kerleroux s’est souvenue d’une des premières choses que Cody Carlson lui a confiées : « Les gens pensent encore qu’on vit dans des tipis. » Un membre de la nouvelle équipe d’indian relay des Carlson pose ici devant ce café atypique de Browning, un lasso à la main. En plus de l’isolement, des climats extrêmes et de la pauvreté endémique (32 % de la population vit sous le seuil de pauvreté selon le gouvernement fédéral), la réserve des Blackfeet est exposée à d’autres fléaux : surconsommation de méthamphétamines et d’opioïdes, taux de suicide et de criminalité élevés. Autant de traumatismes hérités d’une colonisation brutale et de politiques fédérales qui ont peu à peu spolié les tribus de leurs terres et de leur souveraineté. « Les Carlson voient l’indian relay comme un sport qui peut guérir leur nation de ces traumatismes, précise la photographe. L’entraînement quotidien garde éloignés de la drogue ceux qui le pratiquent. »En plus d’être une famille connue dans l’indian relay, les Carlson ont une grande responsabilité au sein de la nation Blackfeet : ils ont le titre de « gardiens des bisons ». Concrètement, ils sont chargés de veiller ces centaines de bovidés vivant dans les Plaines, de leur apporter des meules de foin pendant l’hiver. Cet animal sacré pour la tribu vient tout juste d’être réintroduit en 2023, après son extermination par les colons. Première en Amérique du Nord, ce projet est porté par la confédération Blackfoot (ou Pied-Noir), entité politique qui regroupe quatre nations réparties de part et d’autre de la frontière : les Blackfeet (ou Pikuni) côté États-Unis, et les Siksika, les Piikani et les Kainai côté Canada. Tous partagent une même langue et une même spiritualité. Pour l’ensemble des nations de la confédération Blackfoot, ce retour du bison constitue une renaissance aussi bien écologique que culturelle. Chloé Kerleroux a pris cette photo sur la route entre le territoire Blackfeet et le territoire Siksika.Au ranch des Big Tobacco, une équipe familiale d’indian relay de la réserve Siksika au Canada, les entraînements sont quotidiens, quelle que soit la météo. À l’instar du bison, le cheval est un animal central pour de nombreuses tribus des Plaines comme les nations Blackfoot. Certains les considèrent comme des membres de la famille. Des récits oraux relatent que cet animal est présent « depuis des temps immémoriaux ». Une affirmation qui fait débat : longtemps, l’histoire occidentale a daté au XVIIe siècle l’intégration des chevaux chez les Amérindiens, mais une étude de 2023 publiée dans la revue Science a démontré que certaines tribus les utilisaient déjà avant.Cody Big Tobacco pose ici avec un objet auquel il tient particulièrement : une coiffe de sa tribu Siksika. Ce cavalier passe la plupart de son temps dans son ranch, à s’entraîner à l’indian relay, sa passion, ou à transmettre ses connaissances à ses enfants. Mais cet homme charismatique est aussi habitué aux caméras et à la lumière des projecteurs. Acteur et cascadeur, il figure notamment au générique de The Revenant (2015) ou encore de Prey (2022). Un nombre croissant d’acteurs et réalisateurs autochtones tentent de se réapproprier les récits sur leurs peuples à Hollywood. Lily Gladstone, une Blackfeet originaire de Browning, est la première femme amérindienne à avoir gagné, en 2024, le Golden Globe de la meilleure actrice. Que ce soit à travers le cinéma ou grâce à l’indian relay, un mouvement de réappropriation culturelle est bien en marche au sein des nations autochtones d’Amérique du Nord.