Enfiler les gants de boxe et monter sur le ring pour tromper la routine du bureau et se lancer de nouveaux défis : c’est le choix que font des jeunes cadres dynamiques des beaux quartiers londoniens. Le Britannique Andrew Testa a photographié leurs combats lors de soirées où l’on cultive l’entre-soi et où la bière coule à flot.
Un videur filtre les entrées de l’Irish Centre de Londres, où se tiennent, en ce vendredi soir de 2014, des combats de white-collar boxing (« boxe en col blanc »). L’événement a été organisé par l’entreprise White Collar Boxing London qui assure, sur son site Internet, « aider à troquer le confort du bureau pour la peur et l’adrénaline du ring de boxe depuis 2009 » . Le gala, baptisé « Carpe Diem », a lieu à Camden, le nord branché de la capitale britannique. Quelques heures plus tôt, un ring a été installé dans la salle de réception. « Ce soir-là, il y avait plus de 300 spectateurs, surtout des jeunes cadres venus encourager leurs collègues » , relate Andrew Testa. Le photographe britannique a suivi, durant plusieurs semaines, des « hommes et femmes de la City laissant leur costards-cravates au vestiaire pour aller transpirer en short et gants de boxe » . Dans une salle à l’écart, Emily Williams, reçoit, anxieuse, les derniers conseils de son entraîneur. C’est la première fois que la productrice de 28 ans va monter sur un ring. Elle fait partie de la poignée de femmes ayant suivi le programme d’entraînement intensif de White Collar Boxing London en vue d’un match public. La promesse de l’entreprise : « préparer les aspirants boxeurs – même celles et ceux qui n’ont que peu ou aucune expérience – à monter sur le ring en dix semaines. » Le site précise qu’il s’agit autant d’une « remise en forme que d’une opportunité pour faire de fantastiques rencontres ». Durant son entraînement, la jeune femme a surtout côtoyé des traders, des avocats d’affaires et quelques commerciaux, rapporte Andrew Testa. Les personnes qui concourent ne paient pas leur entraînement. En contrepartie, « chaque participant doit vendre au moins 25 entrées à 25 livres sterling pièce [soit environ 30 euros, ndlr] à sa famille, ses collègues et ses amis » , indique la société sur son site. L’argent récolté sert à produire les galas, à payer la salle d’entraînement (baptisée Knights Gym – « salle des chevaliers ») et le personnel, mais aussi à lever des fonds pour des associations caritatives. White Collar Boxing London organise une dizaine de soirées chaque année. « Ce sont des événements originaux et mondains. Les gens regardent les combats, ils s’amusent et ils discutent entre eux. Ce soir-là, il y avait des banquiers, des investisseurs, mais aussi des professions plus créatives comme des publicitaires » , se souvient le photographe. Emily Williams s’apprête à entrer dans la salle où ses proches sont venus l’encourager. Ses gants sont plus gros et moins durs que ceux utilisés dans les combats professionnels. De même, le match se fera en trois rounds de deux minutes, à la différence des rencontres professionnelles féminines qui, elles, peuvent comporter jusqu’à dix rounds. « Ce soir-là, onze duos sont montés sur le ring. N’étant absolument pas boxeur moi-même, j’ai été touché par la détermination d’Emily » , se remémore Andrew Testa, plutôt habitué à couvrir les zones de guerre. Les supporteurs donnent de la voix, avec en arrière-plan un portrait de John Fitzgerald Kennedy. C’est aux États-Unis que le noble art s’est taillé une place parmi les élites. « En 1988, un avocat et un universitaire se sont affrontés sur le ring de la mythique salle de boxe Gleason’s Gym à Brooklyn, lieu jusqu’alors réservé aux classes populaires. Ce genre d’événements a été importé à Londres au début des années 2000 et, depuis, il n’a cessé d’y croître en popularité » , relate Andrew Testa. Des entreprises spécialisées ont vu le jour – comme White Collar Boxing London en 2009, qui se revendique « la plus grosse du marché » et affiche plus de 3000 combats au compteur. « La boxe en col blanc est devenu un phénomène parmi les cadres d’autres grandes places financières, comme Hong Kong ou Shanghai. » Emily Williams et son adversaire, Harvinder Jutte (en bleu), se défient du regard tandis que l’arbitre professionnel leur rappelle les règles de base. C’est la première fois que les deux femmes se rencontrent. L’adversaire d’Emily, 35 ans, travaille pour les services d’urgence londoniens. Elle est plus petite et plus légère que sa concurrente. C’est son troisième match : elle a gagné le premier, perdu le deuxième. « Certains combats ont des allures de bagarres de fin de soirées au pub. Ça n’a pas été le cas des six minutes qui ont suivi ce cliché. » Les galas de white-collar boxing reprennent tous les codes de l’univers de la boxe professionnelle. « Une sorte de Monsieur Loyal présente les candidats, en annonçant avec emphase leur poids et leur nom sur fond de musique très forte. L’atmosphère, en revanche, est différente. Les gens soutiennent leur proche, mais une fois les six minutes de combat passées, ils laissent la place aux supporters des concurrents suivants. Ils retournent à leur bière, à leur groupe d’amis, et discutent business au fond de la salle » , décrit Andrew Testa. « Rappelez-vous que la vie commence à la limite de votre zone de confort ! » Emily s’est-elle souvenue du mantra de White Collar Boxing London, alors qu’elle a rapidement été malmenée durant son combat ? Dès le premier round, sous la pluie de coups, la novice s’est mise à saigner du nez, relate un article écrit ce soir-là pour le Sunday Times . « Emily ! Emily ! » Ses supporters ont eu beau rameuter une partie de la salle, c’est la main de son adversaire qui a été levée par l’arbitre à l’issue du troisième round. « Emily est restée debout, mais elle était clairement moins forte. Elle a quitté la salle en larmes. Elle était effondrée » , se rappelle le photographe. Arbitres professionnels, jeux de lumières, jeunes femmes en petite tenue qui annoncent les rounds… La boxe en col blanc n’a rien à envier aux shows les plus millimétrés, si ce n’est peut-être une forme de régulation. « La discipline n’est pas encadrée au Royaume-Uni. Elle est donc potentiellement dangereuse, comme l’a prouvé la mort de Lance Ferguson-Prayogg, un adepte de 32 ans, quelques semaines avant ce reportage. » Le soir de cette série de photos, à l’Irish Centre, les boxeurs montés sur le ring ont rempli un questionnaire de santé. Équipé d’un défibrillateur, un ancien médecin de l’armée surveillait, pouvant interrompre les combats à tout instant. Laurence Mills, 25 ans, diplômé de la prestigieuse université d’Oxford et notaire en devenir, vient de remporter le combat qui l’opposait à Ross Griffiths, un Gallois d’un an son cadet qui travaille dans les ressources humaines. Le premier est monté sur le ring inspiré par les anecdotes de combats de boxe de son grand-père du temps où il servait dans la Royal Air Force. Le second a enfilé les gants en pensant à son père qui boxait dans sa jeunesse. Les deux hommes se sont entraînés ensemble, ils étaient même devenus amis, mais ont commencé à s’éviter à mesure que le combat approchait. Une fois les coups passés et l’adrénaline retombée, « ils ont fini la soirée ensemble au pub » , relate le Sunday Times .