De la Californie au Texas, l’impossibilité d’un mur

Photos par Daniel Ochoa de Olza Un récit photo de Martina Bacigalupo
26 mars 2025
De la Californie au Texas, l’impossibilité d’un mur
Qui sait que la titanesque clôture érigée entre le Mexique et les États-Unis, visant à empêcher le passage des migrants, est en réalité morcelée, disjointe de toutes parts ? Avec ses photos posées, silencieuses, parfois surréelles, Daniel Ochoa de Olza donne à voir cette incohérence architecturale autant que politique.
Qui sait que la titanesque clôture érigée entre le Mexique et les États-Unis, visant à empêcher le passage des migrants, est en réalité morcelée, disjointe de toutes parts ? Avec ses photos posées, silencieuses, parfois surréelles, Daniel Ochoa de Olza donne à voir cette incohérence architecturale autant que politique.

Quand on pense à un mur, on pense à une barrière ininterrompue. Dans notre imaginaire, le mur entre États-Unis et Mexique s’étend sur plus d’un millier de kilomètres, de la Californie au Texas. Ce n’est pas le cas. Né d’une clôture en fil de fer barbelé érigée en 1909 par les États-Unis pour empêcher le passage du bétail à la frontière, établi dans sa forme actuelle avec le Secure Fence Act (« loi sur la clôture sécurisée ») de George W. Bush en 2006, ce mur est constitué de sections disjointes. Entre chacune, de grands espaces vides. Au-delà de l’abomination humaine et économique – entre 10 000 et 80 000 personnes sont mortes en tentant de traverser la frontière depuis sa construction et des milliards de dollars ont été engloutis –, ce mur représente une absurdité architecturale.

« C’est ridicule. Ça n’a aucun sens. »

C’est ce qui a frappé le photojournaliste espagnol Daniel Ochoa de Olza au moment de son premier voyage à Tijuana, ville mexicaine frontalière des États-Unis, en 2018 : « On m’avait commandé un reportage sur les migrants. Le premier jour, je suis sorti de la ville pour avoir une idée de l’espace autour. À la périphérie, j’ai vu le mur s’arrêter. C’est ridicule, j’ai pensé, ça n’a aucun sens. » Ce jour-là, le photographe de l’agence Associated Press commence à documenter cette œuvre titanesque incohérente, qui tantôt s’étend comme une ligne droite à perte de vue, tantôt serpente en esquivant les impasses, tantôt s’arrête au milieu de rien, tantôt surgit en haut d’une montagne comme un monolithe kubrickien. Un mur solitaire, surréel, qui apparaît et disparaît constamment.

En s’éloignant de son approche journalistique classique, Daniel Ochoa de Olza expérimente une nouvelle écriture photographique, centrée sur l’architecture et les espaces plutôt que sur les humains. Avec ces photos posées, silencieuses, prises au drone ou à l’appareil argentique entre avril 2024 et janvier 2025, il nous restitue l’omniprésence du mur – et son omniabsence, dans le paysage.

Enrichir les passeurs et kidnappeurs

Si le but de cette barrière morcelée est de décourager les migrants de traverser la frontière dans les zones les plus faciles et de les diriger dans des terrains plus ardus – montagnes, déserts, mer –, force est de constater que cela ne marche pas. Selon l’ONG Human Rights Watch, cette stratégie de dissuasion n’a pas permis de réduire le nombre de migrants. Elle a plutôt enrichi les groupes criminels, notamment les passeurs et les kidnappeurs qui extorquent de l’argent aux familles américaines de migrants en échange de leur vie.

Au pied du mur
Récit photo  |  Janvier 2022 | Géographies
Janvier 2022
Au pied du mur
Le photographe Francesco Anselmi a longé côté américain la frontière séparant les États-Unis du Mexique, entre 2017 et 2019.

L’ONG affirme que, pour éviter d’autres décès, les États-Unis devraient mettre fin aux politiques de dissuasion et créer des voies d’immigration plus sûres et légales, ainsi qu’un accueil respectueux des droits humains pour les nouveaux arrivants. Le gouvernement devrait également augmenter le financement des campagnes de recherche et de sauvetage des personnes disparues.

Vu les temps qui courent, cette perspective est plus qu’hypothétique : depuis son entrée en fonction le 20 janvier 2025, le président Donald Trump a annoncé une multitude de décrets relatifs à la répression des flux migratoires, dont le plan, pour le moment suspendu, d’un centre géant de rétention pour 30 000 migrants sur la base navale de Guantanamo. En attendant, Daniel Ochoa de Olza navigue entre menaces d’un cartel mexicain et interdictions des autorités américaines, pour continuer son périple autour de ce mur troué, ce mur inutile, cet anti-mur. Et nous interroge, non sans ironie, sur l’absurdité de l’être humain.

Le soleil se couche dans le désert sur le mur près de Mexicali, en Basse-Californie, au Mexique, en juin 2024.
Près de Mexicali, Basse-Californie (Mexique).
Interruption brusque du mur à la périphérie de Fort Hancock, au Texas, USA, en janvier 2025
À la périphérie de Fort Hancock, au Texas (États-Unis).
Un très court segment du mur frontalier qui sépare le Mexique des États-Unis dans le désert d’Altar, à Sonora, au Mexique, en janvier 2025
Dans le désert d’Altar, Sonora (Mexique).
Le mur frontalier s’arrête sur une colline à Imperial Valley, Californie, États-Unis, en mai 2024
Imperial Valley, Californie (États-Unis).
trois prototypes de mur américain
Trois prototypes de mur à San Diego, près de la frontière entre le Mexique et les États-Unis, en décembre 2018.
Le mur frontalier dans le désert de Sonora près de Flor del Desierto, à l’est de San Luis del Rio Colorado, Sonora, au Mexique, en juillet 2024
Flor del Desierto, à l’est de San Luis Rio Colorado, Sonora (Mexique).
Une section du mur au sommet d’une colline dans la région du Guadalupe Canyon, aux États-Unis, en janvier 2025
Dans la région de Guadalupe Canyon, aux États-Unis.
Une très courte section du mur dans les montagnes du sud de la Californie, aux États-Unis, en juillet 2024

Dans les montagnes du sud de la Californie (États-Unis).

Le mur dans l’océan Pacifique, vu du ciel à Tijuana, au Mexique, en avril 2024

Dans l’océan Pacifique à Tijuana (Mexique).

Le mur s’arrête près de Campo, Californie, États-Unis, en mai 2024
Près de Campo, Californie (États-Unis).
Le mur s’arrête au pied d’une montagne près de La Rumorosa, en Basse-Californie, en mai 2024
Près de La Rumorosa, Basse-Californie (Mexique).