Quand on pense à un mur, on pense à une barrière ininterrompue. Dans notre imaginaire, le mur entre États-Unis et Mexique s’étend sur plus d’un millier de kilomètres, de la Californie au Texas. Ce n’est pas le cas. Né d’une clôture en fil de fer barbelé érigée en 1909 par les États-Unis pour empêcher le passage du bétail à la frontière, établi dans sa forme actuelle avec le Secure Fence Act (« loi sur la clôture sécurisée ») de George W. Bush en 2006, ce mur est constitué de sections disjointes. Entre chacune, de grands espaces vides. Au-delà de l’abomination humaine et économique – entre 10 000 et 80 000 personnes sont mortes en tentant de traverser la frontière depuis sa construction et des milliards de dollars ont été engloutis –, ce mur représente une absurdité architecturale.
« C’est ridicule. Ça n’a aucun sens. »
C’est ce qui a frappé le photojournaliste espagnol Daniel Ochoa de Olza au moment de son premier voyage à Tijuana, ville mexicaine frontalière des États-Unis, en 2018 : « On m’avait commandé un reportage sur les migrants. Le premier jour, je suis sorti de la ville pour avoir une idée de l’espace autour. À la périphérie, j’ai vu le mur s’arrêter. C’est ridicule, j’ai pensé, ça n’a aucun sens. » Ce jour-là, le photographe de l’agence Associated Press commence à documenter cette œuvre titanesque incohérente, qui tantôt s’étend comme une ligne droite à perte de vue, tantôt serpente en esquivant les impasses, tantôt s’arrête au milieu de rien, tantôt surgit en haut d’une montagne comme un monolithe kubrickien. Un mur solitaire, surréel, qui apparaît et disparaît constamment.
En s’éloignant de son approche journalistique classique, Daniel Ochoa de Olza expérimente une nouvelle écriture photographique, centrée sur l’architecture et les espaces plutôt que sur les humains. Avec ces photos posées, silencieuses, prises au drone ou à l’appareil argentique entre avril 2024 et janvier 2025, il nous restitue l’omniprésence du mur – et son omniabsence, dans le paysage.
Enrichir les passeurs et kidnappeurs
Si le but de cette barrière morcelée est de décourager les migrants de traverser la frontière dans les zones les plus faciles et de les diriger dans des terrains plus ardus – montagnes, déserts, mer –, force est de constater que cela ne marche pas. Selon l’ONG Human Rights Watch, cette stratégie de dissuasion n’a pas permis de réduire le nombre de migrants. Elle a plutôt enrichi les groupes criminels, notamment les passeurs et les kidnappeurs qui extorquent de l’argent aux familles américaines de migrants en échange de leur vie.

L’ONG affirme que, pour éviter d’autres décès, les États-Unis devraient mettre fin aux politiques de dissuasion et créer des voies d’immigration plus sûres et légales, ainsi qu’un accueil respectueux des droits humains pour les nouveaux arrivants. Le gouvernement devrait également augmenter le financement des campagnes de recherche et de sauvetage des personnes disparues.
Vu les temps qui courent, cette perspective est plus qu’hypothétique : depuis son entrée en fonction le 20 janvier 2025, le président Donald Trump a annoncé une multitude de décrets relatifs à la répression des flux migratoires, dont le plan, pour le moment suspendu, d’un centre géant de rétention pour 30 000 migrants sur la base navale de Guantanamo. En attendant, Daniel Ochoa de Olza navigue entre menaces d’un cartel mexicain et interdictions des autorités américaines, pour continuer son périple autour de ce mur troué, ce mur inutile, cet anti-mur. Et nous interroge, non sans ironie, sur l’absurdité de l’être humain.








Dans les montagnes du sud de la Californie (États-Unis).

Dans l’océan Pacifique à Tijuana (Mexique).

