Au palais Mohammed V, Mamadi Doumbouya apparaît de plus en plus isolé. Le chef de l’État guinéen, dont la garde a été renforcée, limite au maximum ses sorties. Depuis novembre 2023, des chicanes barrent l’accès à la présidence ; et des checkpoints de gendarmes quadrillent le centre-ville une fois la nuit tombée. Chaque véhicule est minutieusement fouillé. Le maillage sécuritaire de la capitale s’est considérablement densifié en un an. L’accès à certaines plateformes comme WhatsApp ou Youtube a même été coupé un temps. De nombreux médias critiques envers le pouvoir ont été muselés. L’image d’ouverture que le président entendait donner n’est plus qu’un lointain souvenir.
La déception est d’autant plus grande pour nombre de Guinéens qu’il y a trois ans l’accession de Doumbouya à la tête du pays a fait naître un certain espoir. Certes, l’ancien militaire s’est hissé au sommet de l’État par un putsch sanglant dans la nuit du 4 au 5 septembre 2021. Mais il est apparu comme un libérateur, mettant fin à la douloureuse période de répression des derniers mois de son prédécesseur, Alpha Condé. Longtemps surnommé le « Nelson Mandela de l’Afrique de l’Ouest » en raison de son long combat pour la démocratie avant d’accéder à la magistrature suprême en 2010, ce dernier avait fini par succomber à l’ivresse du pouvoir. En 2020, Condé fait modifier la Constitution afin de briguer un troisième mandat, provoquant une levée de boucliers au sein de la population. Il y répond avec violence, ordonnant l’arrestation de plus d’une centaine d’opposants politiques, et faisant réprimer les manifestations dans le sang. Quelques mois plus tard, son renversement par Doumbouya n’entraîne quasiment aucune protestation.
Barricadé dans son palais
En matière de politique étrangère, le nouveau président guinéen se démarque très tôt en inaugurant une troisième voie diplomatique : à mi-chemin entre l’anti-occidentalisme prêché par les juntes sahéliennes et l’autocratie profrançaise longtemps répandue sur le continent. Contrairement à ses voisins putschistes, Mamadi Doumbouya n’a pas tourné le dos à la France pour se jeter dans les bras de la Russie. Au contraire, il a tenu à renforcer la coopération aussi bien économique que sécuritaire avec Paris.
Dans un contexte de rejet massif de la présence française au Sahel, il n’a pas souhaité pour autant que ce rapprochement avec l’ancienne puissance coloniale devienne un talon d’Achille, et n’a cessé d’afficher une posture souverainiste marquée. Mais, à l’heure où son opinion publique se dresse contre son autoritarisme, Doumbouya, barricadé en son palais, a de plus en plus de mal à faire tenir cette politique étrangère sur un fil. Le risque que ses opposants utilisent sa proximité avec la France pour décrédibiliser son image de leader « panafricaniste » est grand, et suscite autant d’inquiétude dans les hautes sphères du pouvoir guinéen que dans les couloirs feutrés du Quai d’Orsay.
Doumbouya brille par son absence sur la photo de famille du sommet célébrant les liens entre la Russie et l’Afrique.
Sur l’estrade, il en manque un. Ce 28 juillet 2023, le général Mamadi Doumbouya brille par son absence sur la photo de famille du second sommet célébrant les liens entre la Russie et l’Afrique. Savourant leur nouvelle alliance avec le Kremlin, les présidents malien et burkinabé, tous deux militaires putschistes comme lui, se sont précipités à Saint Pétersbourg pour poser aux côtés de Vladimir Poutine. Mais Doumbouya est resté à Conakry, préférant accueillir l’équipe nationale de basketball des moins de 16 ans, tombeuse de l’Égypte en finale du championnat d’Afrique. Le chef de l’État guinéen, que son entourage surnomme « Jordan » en raison de sa taille, s’est même autorisé un match avec les vainqueurs.
À la différence de ses homologues sahéliens, le président guinéen montre peu d’empressement à collaborer avec Moscou depuis sa prise du pouvoir. Fin 2023, il s’oppose personnellement à ce qu’un navire de guerre russe fasse escale à Conakry pour se ravitailler en carburant. Il fait aussi attendre plus de trois mois le nouvel ambassadeur nommé par Vladimir Poutine en juin 2023 avant de daigner accepter ses lettres de créance. En comparaison, l’ambassadeur américain a été reçu seulement dix jours après son arrivée dans le pays.
« Savoir-faire français »
Les diplomates du Kremlin s’en sont inquiétés, tant ce petit État d’Afrique de l’Ouest riche en matières premières critiques possède une valeur stratégique. Outre d’abondantes quantités d’or, de diamants et de fer, la Guinée abrite la plus importante réserve mondiale de bauxite, minerai indispensable à la production d’aluminium. Présent dans le pays depuis 2001, le groupe russe Rusal l’exporte en grande quantité, mais s’est refusé jusqu’ici à honorer ses engagements portant sur sa transformation au niveau local. Doumbouya a entrepris de changer la donne, au risque de frustrer ce partenaire.
Car des liens historiques unissent les deux pays. Amorcé en pleine guerre froide, l’axe russo-guinéen a notamment débouché sur une coopération militaire qui perdure aujourd’hui, bien qu’elle soit de moins en moins visible : ce ne sont pas des paramilitaires du groupe russe Wagner comme au Mali ou au Burkina Faso qui arpentent l’aéroport international de Conakry, mais des soldats français revenant du nord du pays. Sur demande du général Doumbouya, ils y entraînent les forces spéciales locales à la lutte contre le terrorisme. En toute discrétion.
Depuis 2021, les cadres de grands groupes français multiplient quant à eux les déplacements dans la capitale guinéenne, à la conquête de nouveaux marchés, et au grand jour. « On a senti une véritable demande pour le savoir-faire français depuis l’arrivée du nouveau président », confie l’un deux à la terrasse d’un élégant café parisien. À peine installé au pouvoir, Doumbouya insiste notamment pour que le géant du BTP Eiffage construise de nouveaux hôpitaux, alors que la plupart des infrastructures sanitaires de Guinée datent de l’ère coloniale. Il n’a pas oublié qu’une poignée de ses hommes blessés lors de son putsch ont dû être transférés en urgence au Maroc, faute de centres de santé suffisamment équipés.
Son gouvernement désigne également un cabinet d’ingénierie français, Egis, pour superviser les travaux du mégaprojet minier de Simandou. Le président mise sur ce gisement de fer estimé à 2,4 milliards de tonnes – le plus important jamais exploité au monde –, pour propulser son pays au rang de pays émergent – actuellement classé 181e sur 193 en matière de développement humain, selon un rapport publié en mars 2024 par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). « Pour vérifier que le projet est exécuté selon les normes, le président a exprimé sa préférence pour un acteur français », explique l’un de ses conseillers recevant à la hâte dans son bureau à Conakry.
La Légion pour la vie
Il faut dire que le chef de l’État guinéen est un pur produit de l’écosystème militaire français : passé sur les bancs de la prestigieuse École de guerre à Paris, il a en outre servi cinq ans au sein de la Légion étrangère au début des années 2000. Né en 1980 dans l’agglomération de Kankan, au nord de la Guinée, Mamadi Doumbouya est issu d’une famille modeste. Après avoir fréquenté l’école primaire de la ville, il part tenter sa chance en Europe et vadrouille entre Paris, Amsterdam et Londres. Ces années de jeunesse demeurent nimbées de mystère. À leur sujet, rien, ou presque, n’a filtré. Des proches confient qu’il a enchaîné les petits boulots, tantôt comme videur de boîtes de nuit, tantôt comme vigile de supermarchés. L’actuel chef d’État n’aime pas en parler.
En revanche, il met volontiers en avant la dimension formatrice de son passage par l’armée française. Stationné à Nîmes au sein du 2e régiment étranger d’infanterie (2 e REI), il a effectué plusieurs missions à l’étranger. Jusqu’à défiler sur les Champs-Élysées un 14 juillet. En 2009, au terme de son contrat, la Légion l’a nommé simple caporal et a refusé de le réengager pour cinq ans de plus. Les raisons de ce camouflet n’ont jamais été clairement établies, mais pourraient être liées aux expédients auxquels Doumbouya aurait recouru afin d’arrondir ses fins de mois, lui valant d’être sanctionné par son chef de corps.
C’est durant ces années qu’il fait la connaissance de Laurianne Darboux. Originaire de Chabeuil, petite commune drômoise située à 150 kilomètres de Nîmes – et de son 2e REI –, cette grande blonde au fort accent du Sud entame alors une carrière à la brigade de gendarmerie comme sous-officier dans sa ville natale. Les deux jeunes gens se marient à Lille en 2011. Mamadi Doumbouya obtient la nationalité française à l’issue de ses noces, puis décide de regagner seul la Guinée. La relation supporte la distance pendant dix ans. Laurianne Darboux a aujourd’hui quitté la gendarmerie, pour partager son temps entre Conakry et Grenoble, où ont été scolarisés plusieurs de leurs cinq enfants.
Cherchant à faire émerger du sang neuf au sein de l’armée, Condé voit en Doumbouya l’incarnation de cette nouvelle génération.
Les liens de Mamadi Doumbouya avec la France se renforcent encore quelques années après, quand l’ancien caporal parvient à intégrer l’École de guerre à Paris en 2017. C’est Alpha Condé lui-même qui l’y envoie. Celui-ci gouverne alors la Guinée depuis près de deux ans quand, en 2012, Aboubacar Sidiki Camara, influent général officiant comme directeur de cabinet auprès du ministre de la Défense, lui présente son poulain. Condé a été élu après une succession de régimes militaires ; il se méfie de l’establishment sécuritaire du pays, qu’il soupçonne d’avoir tenté de le renverser. Cherchant à faire émerger du sang neuf au sein de l’armée, il voit en Doumbouya l’incarnation de cette nouvelle génération. D’autant plus que tous deux sont issus de la communauté des Malinkés, l’un des trois principaux groupes ethniques de Guinée – avec les Peuls et les Soussous.
Une fois diplômé de l’École de guerre, en 2018, Mamadi Doumbouya regagne Conakry. Les groupes terroristes font alors rage au Mali voisin. Alpha Condé, craignant une possible contagion, vient de créer une unité d’élite. Et il tient à ce que le jeune légionnaire devenu colonel la dirige. Le puissant ministre de la Défense Mohammed Diané en prend ombrage et crée une force concurrente durant l’été 2021, faisant venir des instructeurs turcs pour la former. Furieux, Doumbouya se rend à leur hôtel à l’intérieur du pays pour leur ordonner de quitter le territoire. C’en est trop pour Diané, qui se plaint au président. Alpha Condé convoque son protégé pour une réunion en urgence le 6 septembre 2021. Elle n’aura jamais lieu. Doumbouya s’empare du pouvoir dans la nuit du 4 au 5 septembre, annonçant le début d’une « période de transition ». À peine installé, il fait revenir à Conakry son mentor Aboubacar Sidiki Camara, envoyé entre-temps comme ambassadeur à Cuba, loin des intrigues guinéennes. Les liens entre Emmanuel Macron et Alpha Condé se sont notoirement distendus depuis la décision de ce dernier de se maintenir au pouvoir. Il est temps d’y remédier, estime Doumbouya. Mais pas à n’importe quel prix. C’est à ce moment-là qu’il inaugure sa troisième voie.
Pour le retour des œuvres pillées
Janvier 2024. Depuis son accession au pouvoir, celui que plus personne n’ose appeler « Jordan » a élu domicile au palais Mohammed V – du nom de l’ancien roi du Maroc –, un édifice à l’architecture futuriste face à l’océan Atlantique. Au carrefour, une armée de policiers peine à fluidifier une circulation encombrée par les pick-ups et motos de fabrication chinoise. Quelques rues plus loin, le bitume laisse place à des chemins de terre crevassés, où des échoppes de fortune côtoient des vendeurs ambulants chargés de cacahuètes et de parfums contrefaits. Le quartier a été baptisé Sandervalia, en référence à l’explorateur français du XIXe siècle qui a vécu en Guinée, Aimé Olivier de Sanderval. À l’abri d’une foule d’arbres touffus, une quinzaine d’ouvriers s’activent pour terminer les travaux d’extension du musée national de Conakry abritant sa case. Particulièrement important pour le chef de l’État, le projet est en partie financé par l’Agence française de développement (AFD).
Une fois achevé, ce musée exposera une partie des 12 000 objets d’art répertoriés par le ministère de la Culture guinéen. À plus long terme, il aura aussi vocation à accueillir des œuvres pillées durant la colonisation qui se trouvent encore à l’étranger, en particulier en France. Mamadi Doumbouya y tient personnellement. Lors d’une réunion au ministère de la Culture, le général a, avec son flegme habituel, désigné une pièce dont il espère obtenir le rapatriement, bluffant au passage ses conseillers par sa connaissance du patrimoine national. Dans le même temps, le président guinéen a multiplié par douze les fonds alloués au Centre culturel franco-guinéen (CCFG), faisant passer de 5 000 à 60 000 euros l’enveloppe annuelle consacrée à cet établissement qui accompagne les talents du pays. Le geste témoigne de la relation complexe qu’entretient le chef de l’État avec l’Hexagone : s’il cherche à s’affranchir d’une partie de l’héritage colonial, il n’en reste pas moins attaché aux liens unissant les deux pays.
À la différence de ce qui se peut se produire ailleurs en Afrique, il n’existe pas vraiment de sentiment antifrançais en Guinée.
Cellou Dalein Diallo, ancien Premier ministre guinéen
Jusqu’ici, ce rapprochement avec le colonisateur d’hier semble susciter peu de résistance au sein de la population. Si elles sont monnaie courante au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les manifestations antifrançaises sont encore rares en Guinée. Certains observateurs évoquent la trajectoire singulière empruntée par le pays depuis son indépendance. « À la différence de ce qui se peut se produire ailleurs en Afrique, il n’existe pas vraiment de sentiment antifrançais en Guinée », estime Cellou Dalein Diallo, ancien Premier ministre guinéen et principal opposant à Mamadi Doumbouya, qui reçoit dans un appartement sans faste à Dakar où il vit en exil depuis deux ans. « Ceux qui ont vécu sous Sékou Touré [président de 1958 jusqu’à sa mort en 1984, NDLR] ont vu où la rupture avec la France nous avait conduits. » À l’époque, le général De Gaulle s’était offusqué du refus du premier chef d’État guinéen de rejoindre son projet de Communauté française en 1958, et avait ordonné aux coopérants français de quitter aussitôt le pays. Ceux-ci étaient allés jusqu’à dévisser les ampoules des locaux administratifs qu’ils occupaient, afin de ne rien laisser au nouveau pouvoir.
Doumbouya n’en est pas moins resté prudent, se gardant bien de mettre en avant cette coopération poussée. La chute, en août 2023, de son homologue nigérien Mohammed Bazoum a achevé de souligner les risques d’une telle politique. Renversé par des cadres de son armée lui reprochant notamment sa trop grande proximité avec Paris, ce dernier vit toujours en résidence surveillée à Niamey, dans son propre palais. S’exprimant à la tribune des Nations unies quelques semaines après l’évènement, Mamadi Doumbouya martèle n’être ni « profrançais », ni « prorusse », ni « pro-américain », mais tout simplement « pro-africain ». Les diplomates applaudissent vigoureusement.
Aéroport rebaptisé
Le discours n’est pas totalement nouveau de sa part. En novembre 2017 déjà, alors qu’il suit des cours à l’École de guerre, à Paris, Doumbouya est invité, lors d’un colloque sur l’interculturalité organisé par l’armée, à partager son expérience d’officier coopérant devant une foule d’officiers et d’universitaires. Le futur putschiste pointe alors les limites de l’application de la « bonne gouvernance à l’européenne » sur le continent, dénonçant la persistance de certaines habitudes héritées de la période coloniale. Il s’en prend notamment à la relation privilégiée que continuent à entretenir les cadres militaires occidentaux avec les présidents africains, ce genre de rapport étant impossible dans « l’autre sens ». « C’était brillant ! se souvient un haut gradé français qui confie même avoir félicité l’ancien légionnaire dans la foulée. Il nous avait tout simplement mis face à nos contradictions. »
Si on ne lui connaît pas d’appétence particulière pour la lecture, Doumbouya, qui éprouve des difficultés d’élocution, aime toutefois écouter les discours de grandes figures africaines à ses heures perdues. Parmi celles-ci, le premier président de l’histoire guinéenne, Ahmed Sékou Touré. Le chef de l’État ne cache pas son admiration pour celui qui a su tenir tête à De Gaulle et conféré à la Guinée une place sur la scène internationale. Peu importe si nombre de ses compatriotes le considèrent comme un autocrate qui a du sang sur les mains. « La décision de Doumbouya, deux mois après son arrivée au pouvoir, de renommer le principal aéroport du pays du nom de cette figure controversée a clivé », reconnaît Fabien Offner, chercheur chargé du suivi de la Guinée au sein d’Amnesty International. Le Premier ministre de l’époque, Mohammed Béavogui, s’en est même offusqué en privé : son oncle, le célèbre diplomate Diallo Telli, est mort en déportation au sinistre camp Boiro, où Sékou Touré a interné plusieurs dizaines de milliers de personnes tout au long de son règne.
La spectaculaire explosion du principal dépôt de carburant du pays vient amplifier le climat de psychose.
Le président sait qu’au sein de l’armée guinéenne certains officiers lui reprochent aujourd’hui sa posture pro-occidentale, et pourraient l’utiliser pour le faire tomber. Avec son entourage, il craint particulièrement l’influence d’une frange de la troupe issue de Guinée forestière, région frontalière du Liberia et de la Sierra Leone, au sud du pays. Aux premières lueurs du 4 novembre 2023, un commando lourdement armé mène un raid meurtrier sur l’enceinte de la principale prison de Conakry pour libérer une poignée de figures de cette communauté. Parmi eux, l’ancien président Moussa Dadis Camara et son ministre en charge de la sécurité, Claude Pivi.
Largement médiatisée, l’attaque écorne la réputation de stabilité dont le pouvoir a joui jusqu’ici. Mettant fin au mythe d’invincibilité des forces spéciales, dont quatre membres sont tombés sous les balles, l’épisode ravive le fantasme des « forestiers », réputés détenir des pouvoirs mystiques dans la culture populaire guinéenne. Plusieurs des assaillants du commando arborent des fétiches, et les hommes de Doumbouya se livrent à des sacrifices d’animaux en toute discrétion dans les jours qui suivent l’opération. Les rites sont exécutés la nuit, aux abords de ronds-points de la capitale. Quelques semaines plus tard, la spectaculaire explosion du principal dépôt de carburant du pays vient amplifier ce climat de psychose. Si les causes de l’incident n’ont pas été clairement élucidées, les enquêteurs en charge du dossier n’écartent pas la piste d’un sabotage.
Les deux évènements font basculer le chef de l’État dans une paranoïa aiguë, que de nombreux observateurs tiennent pour responsable de la radicalisation de son régime. Dans le pays, les arrestations de personnalités jugées hostiles au gouvernement se multiplient. L’interpellation d’un syndicaliste ayant manifesté contre la censure déclenche trois jours de grève générale en février 2024. Depuis quelques semaines, c’est désormais celle d’un ancien commandant en chef de l’armée, le général Sadiba Koulibaly, qui défraie la chronique. Condamné le 14 juin à cinq ans de prison pour « désertion à l’étranger et détention illégale d’armes de guerre », il décède quelques jours plus tard en détention dans des circonstances troubles.
Spin doctors et culte de la personnalité
Aujourd’hui, le virage autoritaire de Mamadi Doumbouya couplé à son goût certain pour le luxe ont terni son image auprès du peuple. Amateur de grands crus, le président a également développé un penchant pour les montres onéreuses. Dans sa collection, plusieurs Rolex mais surtout un chronographe Richard Mille estimé à plus de 400 000 euros. Les va-et-vient de ses conseillers vers les paradis fiscaux, dont la Suisse et Dubaï, interpellent également, alors qu’on prête à son entourage un intérêt pour une certaine cavalerie financière, si possible offshore.
À Conakry, une petite armée de spin doctors s’évertue pendant ce temps à entretenir un culte de la personnalité autour du chef. « La Guinée vous aime, mon général », peut-on lire sur les affiches placardées dans les rues de la capitale. Lui se tient à bonne distance des médias. Formulées à travers des canaux aussi bien officiels qu’informels, nos nombreuses demandes d’entretien dans le cadre de ce portrait sont restées lettre morte. « Sur le plan des droits et des libertés, ce régime est à certains égards en train de devenir pire que sous les dernières années d’Alpha Condé », regrette Fabien Offner.
Le chef d’État s’est également coupé d’une bonne partie de la classe politique du pays. « Mamadi Doumbouya a fait de moi un opposant, alors que j’aurais pu être un partenaire », déplore l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo, qui l’accuse, comme d’autres membres de l’opposition, de chercher à se maintenir à la tête du pays au-delà de ses promesses. Tandis qu’il s’était engagé auprès de la communauté internationale à quitter le pouvoir fin 2024, Doumbouya amorce en décembre dernier des pourparlers afin de repousser l’échéance d’un an. Paris est la première capitale occidentale à en être informée. Le président guinéen y dépêche discrètement le général Aboubacar Sidiki Camara.
Quelques semaines plus tard, le président barricadé s’envole pour Kigali, sur l’invitation du président Paul Kagamé, qui règne d’une main de fer sur le Rwanda après s’être opposé aux génocidaires de 1994. Le chef de l’État guinéen est fasciné par cet ancien rebelle, enviant la manière dont il a su conjuguer autoritarisme politique et libéralisme économique, le tout avec un indéniable succès, qui suscite l’admiration chez ses pairs, en Afrique comme en Occident. Doumbouya rêve que la Guinée suive la même voie. Il estime que la radicalisation du régime est nécessaire pour y parvenir. Alors que ses alliés sur le continent africain se font de plus en plus rares, la France n’aura d’autre choix que d’accepter cette radicalisation si elle souhaite continuer à cheminer à ses côtés.