Depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, Kharkiv, la deuxième ville du pays, à 30 kilomètres de la frontière russe, est la cible régulière de tirs d’artillerie lourde et de missiles. Le 3 mai 2025, une attaque de drones a touché plusieurs quartiers, déclenchant des incendies et blessant une quarantaine de personnes. Malgré cela, défiant l’interdiction des grands rassemblements dans les bâtiments, défiant aussi le couvre-feu instauré entre 23 heures et 6 heures du matin, les artistes continuent à se produire. Tantôt dans des lieux publics, tantôt dans des sous-sols reconvertis en salles de spectacle. En juillet 2024, le photographe polonais Amadeusz Świerk est parti à leur rencontre.
« J’ai eu envie de voir leur résistance, si proche du front »
Sensible aux cultures underground et aux minorités dans son travail, Amadeusz Świerk est familier de l’ancienne capitale de la République socialiste soviétique d’Ukraine : « Depuis le début de la guerre, j’étais allé plusieurs fois dans cette ville, après mes reportages dans l’est du pays. Kharkiv était vraiment délabrée à ce moment-là, mais son énergie, son dynamisme artistique m’ont frappé. En mai 2024, l’armée russe a lancé à nouveau une offensive depuis Vovchansk, à une heure et demie de voiture au nord-est de la ville. Beaucoup de gens ont fui, mais d’autres ont décidé de rester. Parmi eux, les artistes. J’ai eu envie de voir leur résistance, si proche du front, et de raconter la guerre autrement. » Les artistes, eux, accueillent volontiers ce photographe qui parle russe et vient leur rendre visite de manière informelle. Ils lui ouvrent leurs portes, partagent leurs performances, leur fierté et aussi, parfois, leurs peurs et leur solitude.
« Quand je suis arrivé, l’Opéra national, fermé depuis le début de la guerre, venait tout juste de rouvrir… enfin, ses sous-sols », raconte Amadeusz. L’énorme espace, un abri antiatomique conçu dans les années 1960 par les architectes soviétiques, a été reconverti en scène lyrique. En ce début d’été, le théâtre propose alors chaque semaine trois représentations de ballet ou d’opéra sur cette scène en ciment et sans rideaux. Les spectacles sont tous complets : « Tu sens que c’est nécessaire, pour les gens, d’être là. Que l’art les aide à tenir. »
Au chômage pendant des mois
De leur côté, le théâtre national Berezil et le théâtre expérimental Nafta continuent de proposer des spectacles, en surface. Un public de confiance, informé par le bouche-à-oreille, se réunit en secret. Le Théâtre des marionnettes, un autre lieu historique de la ville, unique en son genre dans le pays, risquait en revanche de fermer par manque d’activité et de fonds : « Les acteurs sont restés au chômage pendant des mois, les marionnettes immobiles, témoigne le photographe. Pendant notre rencontre, la directrice artistique, Oksana Dmitrieva, pleurait. Ce théâtre est toute sa vie. » Mais elle ne lâche rien et l’activité reprend, pas à pas. « Nous travaillons dur et c’est compliqué de payer les salaires, explique-t-elle. Mais nous continuons à nous produire pour sauver notre théâtre – et nous jouerons même en France cet automne ! »
Les photos d’Amadeusz Świerk donnent à voir, simplement, avec une approche classique. Ici, ce n’est pas le regard de l’auteur qui prime, mais le sujet. La plupart des artistes qu’il a rencontrés sont toujours actifs et continuent à défier la guerre avec chaque œuvre, chaque performance.










