Aujourd’hui la transition énergétique incite les États à renoncer petit à petit aux énergies fossiles. En quoi le rôle de la RDC est-il central dans cette évolution ?
Il faut d’abord comprendre que cette transition repose sur le développement des batteries. Ce sont elles qui permettent aux voitures électriques de rouler, ou de stocker l’énergie produite par les centrales solaires et éoliennes – dont le fonctionnement est par définition intermittent. Or leur fabrication requiert un certain nombre de minerais, dont le cobalt : c’est lui qui évite la surchauffe et l’explosion. D’où la ruée que l’on observe depuis quelques années de la part de certains pays pour sécuriser leur approvisionnement, tout particulièrement en RDC qui est de très loin le premier producteur mondial de cobalt.
Ce rôle stratégique de la RDC dans l’économie mondiale n’est du reste pas nouveau. Le caoutchouc extrait au début du XXe siècle pour la fabrication de pneus a accompagné l’essor de l’industrie automobile partout dans le monde. Tandis que l’uranium congolais a été exploité dans la confection des premières bombes atomiques américaines, larguées en 1945 sur Hiroshima et Nagasaki. Le cuivre du pays a été exploité pour la fabrication des armes des Alliés lors de la Seconde Guerre mondiale. Bref, les ressources naturelles congolaises ont toujours été mises au service des « tendances » du moment. Celle du cobalt est simplement la dernière en date.
Qu’en est-il exactement de la prédominance des Chinois sur la filière congolaise du cobalt ?
Cette supposée mainmise de Pékin est à nuancer, car il existe encore d’importants opérateurs occidentaux, comme le Suisse Glencore, qui exploitent le cobalt congolais. Du reste, les Chinois n’ont fait qu’acquérir des actifs miniers – dont des sites très prometteurs comme ceux de Tenke Fungurume et de Kinsevere au Katanga – détenus précédemment par des entreprises occidentales. Lesquelles n’ont pas hésité à les vendre en contrepartie de sommes parfois mirobolantes proposées par leurs homologues chinoises.
Les Occidentaux, et tout particulièrement les Américains, s’en mordent-ils les doigts aujourd’hui ?
Oui. L’administration américaine regrette notamment la vente en 2016 par le Texan Freeport-McMoRan de ses participations dans Tenke Fungurume, l’une des mines les plus riches en cuivre et en cobalt du pays, au groupe chinois China Molybdenum (CMOC). Une transaction à 2,6 milliards de dollars qui a largement contribué à éclipser les États-Unis du secteur minier en RDC.
Il ne faut pas se leurrer : investir au Congo représente un risque. Les Occidentaux, craignent pour leur sécurité juridique.
Le président congolais, Félix Tshisekedi, a fait part à plusieurs reprises de sa volonté de renégocier les contrats miniers passés avec Pékin. Les Américains peuvent-ils en tirer parti pour revenir dans le jeu ?
Avec l’arrivée au pouvoir en 2019 de Félix Tshisekedi, les États-Unis ont entendu ce qu’ils voulaient entendre : que le nouveau président serait moins clément avec les investisseurs chinois que son prédécesseur, Joseph Kabila. Washington, qui a déployé ces dernières années une diplomatie très active en RDC, espérait qu’un ou deux sites miniers allaient se libérer à son profit. Or le calcul de Kinshasa était plutôt de jouer sur la rivalité entre les deux puissances pour faire monter les enchères dans la renégociation des contrats. Le gouvernement congolais y est parvenu, au moins partiellement. Notamment sur le dossier de Tenke Fungurume avec CMOC, justement (un accord a été signé en avril 2022 qui prévoit le versement par la partie chinoise d’environ 1,6 milliard de dollars, NDLR).
Malgré la volonté affichée par Washington de reprendre pied en RDC, les entreprises américaines ne se pressent pas pour investir dans le pays. Pourquoi tant de frilosité ?
Il ne faut pas se leurrer : investir au Congo représente un risque. Les Américains, et plus largement les Occidentaux, craignent pour leur sécurité juridique : ils voient bien que les Congolais peuvent renégocier les contrats, comme ils l’ont fait avec les Chinois. Ils ne font aucune confiance à la justice congolaise, qu’ils jugent peu indépendante. Enfin, la corruption est systémique dans le pays, ce qui a valu quelques ennuis à Glencore. Le géant suisse a reconnu qu’une « culture de corruption » avait existé en son sein pendant des décennies. Il parle au passé, mais on peut s’interroger sur ses pratiques au présent. Plutôt que de s’exposer à d’éventuels scandales, les entreprises occidentales préfèrent faire reposer ce risque réputationnel sur d’autres et intervenir en bout de chaîne, comme acheteur. Il est plus simple pour elles que les minerais soient « traités » en amont en Chine, où les normes environnementales sont moins contraignantes qu’ailleurs. Ainsi, même si les rivalités géopolitiques sont évidentes, elles sont aussi à relativiser au regard des bénéfices que les Occidentaux tirent de la situation.