L’étoile filante du ring belge

Photos par Thomas Fliche Un récit photo de Rémi Bayol Un portfolio issu de la revue 6Mois
L’étoile filante du ring belge
Dans l’ancien fleuron industriel de Charleroi, un gamin issu d’un quartier populaire s’est découvert de l’or entre les poings. Killian Dufrenne a un temps représenté un espoir de la boxe en Belgique, encore confidentielle dans ce pays. Mais sa vie a pris d’autres détours, et il a tout abandonné. Le photographe Thomas Fliche est entré dans son intimité.
Publié le 02 juin 2024
Article à retrouver dans cette revue
Dans l’ancien fleuron industriel de Charleroi, un gamin issu d’un quartier populaire s’est découvert de l’or entre les poings. Killian Dufrenne a un temps représenté un espoir de la boxe en Belgique, encore confidentielle dans ce pays. Mais sa vie a pris d’autres détours, et il a tout abandonné. Le photographe Thomas Fliche est entré dans son intimité.
« La première fois que j’ai entendu parler de Killian, c’était dans le journal local de Charleroi La Nouvelle Gazette », se rappelle Thomas Fliche. Tout juste sorti d’école, le néo-photographe parcourt ce coin désindustrialisé de la Belgique à la recherche d’un sujet sur la jeunesse. « L’article le décrivait comme un espoir de la boxe belge. Je suis allé le rencontrer durant l’été 2017, à Heppignies, dans la périphérie de Charleroi. » Il a alors 13 ans.
Killian pratique la boxe anglaise depuis ses 8 ans, au rythme de quatre entraînements par semaine. C’est son père, dont il n’est pas très proche, qui l’a initié aux sports de combat. « Peut-être pour entretenir un lien avec Killian », avance le reporter. Cinq ans plus tard, c’est un diamant brut : « Au Boxing Club Garcia, Killian reçoit toute l’attention des entraîneurs de la famille qui tient le lieu. Il est un exemple pour ces trois enfants, qui veulent suivre sa trajectoire. »
« C’est un enfant renfermé, mais quand il monte sur le ring, il explose totalement. » Très tôt, ses parents lui prédisent un avenir olympique. « À Noël, on lui offre des shorts ou des gants de boxe, mais Killian est plus mesuré que ses proches, raconte le photographe. Il est conscient que la route est longue. » Cet été 2024, deux boxeurs, une femme et un homme, représenteront la Belgique aux Jeux Olympiques de Paris. Ce sont les premiers pugilistes belges à se qualifier depuis 1992.
Le lendemain de sa rencontre avec Killian, Thomas Fliche le croise avec ses amis à Fleurus, en périphérie de Charleroi : « Je leur demande si je peux les suivre un peu. Ils me posent quelques questions et très vite, ne font plus attention à moi ». Un peu inquiet, le photographe les voit faire des bêtises de gamins sur les chemins de fer et dans une maison abandonnée : « Ce sont les premières balades d’un garçon assez casanier, au sortir de l’enfance. J’ai compris plus tard qu’il n’aurait pas le temps de vivre une adolescence normale. »
En 2017, Killian fait la rencontre de Karolyn, après quelques échanges sur les réseaux sociaux. « Elle devient rapidement aussi centrale que la boxe dans sa vie », indique le reporter qui a été « témoin de la naissance de cette histoire d’amour ». « Lui parle peu en public, mais il fait tout le temps le clown pour la séduire. Les entraînements sont les seuls moments où ils se séparent, car les parents de Killian ne veulent pas qu’elle le déconcentre. »
Thomas Fliche revient voir Killian et Karolyn à l’été 2018, après quelques mois loin de la cité industrielle. « Par messagerie, juste avant mon arrivée, ils me disent qu’ils ont fait une bêtise, une grosse bêtise. Karolyn est enceinte de sept à huit mois », raconte le photographe. À 14 ans, « elle a quitté l’école et assiste aux entraînements et aux matchs pour le soutenir. Ils passent leur temps ensemble, mais continuent à se chamailler comme des enfants ».
Ce jour d’octobre 2017, Killian se rend à Herstal, dans la province de Liège, pour un combat officiel. « Les Garcia, dont on aperçoit ici les deux frères, l’entraînent de manière quasi professionnelle », assure le photographe, lui-même adepte des sports de combats. Au cours de l’année 2021, en Wallonie, sur les 2 000 pratiquants, seuls 2 étaient sportifs de haut niveau. « La mère de Killian à l’époque a engagé un préparateur sportif et un nutritionniste. Je n’ai jamais vu de telles préparations pour des jeunes de son âge en France. »
Plus explosif, plus fort que son adversaire, le prodige remporte son combat. Thomas Fliche estime que les sacrifices qu’impliquent la boxe ont, dans une certaine mesure, permis à l’adolescent d’éviter les pièges tendus par l’environnement difficile dans lequel il a grandi : « Cette année-là, quand il est exclu de son école à cause d’une bagarre, Julio Garcia, le président du club, se rend chez lui et lui dit : “Si tu continues comme ça, tu ne viens plus à la boxe.” Ça l’a calmé. »
Kathlyn naît en octobre 2018. À 15 ans, le jeune père continue la boxe tout en intégrant une formation de chauffagiste en apprentissage. Sans abandonner ses rêves de devenir sportif professionnel, Kilian veut travailler pour être indépendant et subvenir aux besoins de son enfant : « Il assure qu’il va assumer le bébé. Mais ses premières paies partent dans de nouvelles chaussures, une chicha et un pistolet à plomb. Au fond, c’est encore un gamin .» Les parents des deux adolescents doivent accepter d’avoir un nouvel enfant à leur charge.
En avril 2019, le poids léger fait le grand saut. Alors considéré comme le meilleur boxeur wallon dans sa catégorie – moins de 54 kilos amateur –, il doit disputer un combat à Gand pour devenir champion de Belgique. « La tension est à la hauteur des enjeux, se souvient le photographe. S’il gagne, Killian a des chances d’intégrer la sélection belge “espoir”. » Dès la première manche, Killian (en bleu) prend le dessus sur son adversaire. « Il se prépare depuis des années pour ce moment. » Quand l’arbitre annonce sa victoire, Killian n’exulte pas : « À cet instant précis, il a de plus grands objectifs en tête. Mais son histoire s’écrira différemment. »
« Après son titre, on lui a proposé d’intégrer l’équipe nationale belge, mais il a progressivement lâché les entraînements. » À la suite de sa rupture avec Karolyn, Killian tombe en dépression et son hygiène de vie de sportif se volatilise dans les soirées alcoolisées. « Je crois qu’il a voulu vivre une jeunesse dont il n’avait pas eu l’occasion de profiter », avance le photographe. Aujourd'hui, l’ex-jeune espoir a arrêté la boxe. Il vit désormais de petits boulots sur des chantiers, payés au noir, toujours à Charleroi.
« Killian voit sa fille Kathlyn un dimanche sur deux », précise Thomas Fliche qui a gardé le contact avec le jeune homme (ici en 2022). Depuis, l’ancien espoir du ring a eu un deuxième enfant avec sa nouvelle petite copine. Pendant son temps libre, il continue à regarder les matchs de boxe à la télévision. « Il parle parfois de reprendre un sport de combat. Peut-être le MMA. Mais je crois qu’il a d’abord besoin de mettre de l’ordre dans sa vie ».

Pour aller plus loin

Mbappé, ballon Dior
La superstar du ballon rond a révolutionné les codes des partenariats entre sportifs et marques de luxe.
« Les acteurs du luxe sont devenus tentaculaires »
Les grandes marques ne se contentent plus d’équiper leurs clients. Elles les accompagnent dans une « expérience » globale de vie.
À voir, à lire sur les ponts entre sports et marques
Deux documentaires, un « Envoyé spécial », un podcast et un article issu de notre collection pour prolonger la lecture de notre récit.
La sélection de la rédaction
Légendes du roc andalou
Légendes du roc andalou
Parti sur les traces millénaires de l’Altiplano, le photographe Pablo Castilla en est revenu avec un conte peuplé d’énigmes.
« Quels liens peut-on créer avec des ancêtres aussi lointains ? »
« Quels liens peut-on créer avec des ancêtres aussi lointains ? »
Elsa Fayner, qui a recueilli le témoignage de Joëlle Darricau, s’est prise de passion pour la préhistoire pendant les confinements.
« J’ai hérité d’une grotte préhistorique »
« J’ai hérité d’une grotte préhistorique »
Joëlle Darricau veille sur un bout de patrimoine de l’humanité, deux grottes préhistoriques sises au Pays Basque.
Chauvet raconte « une histoire dont le scénario nous est plus ou moins intelligible »
Chauvet raconte « une histoire dont le scénario nous est plus ou moins intelligible »
Directrice scientifique de la grotte Chauvet depuis 2018, l’archéologue Carole Fritz décode les mythes véhiculés par l’art pariétal.