Masques hindous, une divine explosion de couleurs

Photos par Charles Fréger Un récit photo de Martina Bacigalupo
En ligne le 26 février 2025
Masques hindous, une divine explosion de couleurs
Depuis vingt ans, Charles Fréger photographie les masques traditionnels aux quatre coins du globe et s’intéresse au monde fragile qui se cache derrière la fantaisie des costumes. Son travail sur les rituels indiens nous emmène dans un tourbillon de parures artisanales ultra-sophistiquées, incarnant les divinités foisonnantes de l’hindouisme.
Depuis vingt ans, Charles Fréger photographie les masques traditionnels aux quatre coins du globe et s’intéresse au monde fragile qui se cache derrière la fantaisie des costumes. Son travail sur les rituels indiens nous emmène dans un tourbillon de parures artisanales ultra-sophistiquées, incarnant les divinités foisonnantes de l’hindouisme.

Des femmes au milieu d’une rivière asséchée avec des piles de bougies fumantes sur la tête, un grand éléphant noir avec des jambes humaines qui lui sortent du ventre, deux hommes-oiseaux dans un champ, une femme qui frappe ou bénit un homme dans une fumée de pigments fuchsias, une créature aux mille bras dans la mer… Des personnages sortis d’un conte ? Pas tout à fait. Ces masques et leurs porteurs figurent les divinités issues du Mahabharata et du Ramayana, deux grands poèmes épiques fondateurs de l’hindouisme, la principale religion de l’Inde. Innombrables – les hindous affirment en vénérer 300 millions ! –, ces divinités habitent l’imaginaire indien depuis plus de deux mille ans.

Travaillant sur l’identité et le rituel dans les cultures vernaculaires depuis deux décennies, le photographe français Charles Fréger débarque en Inde en 2019. Pendant trois ans, il sillonne vingt États, du nord au sud, de l’Uttar Pradesh au Kerala, avec ses trois assistants, ses lumières et son appareil moyen format. De village en village, il rencontre les artisans de ces masques et ceux qui les portent – ce sont parfois les mêmes personnes –, qui s’approprient à leur façon ces divinités multiples. Il les photographie en dehors des foules et des rites, près de chez eux, souvent seuls ou en duo, rarement en groupe. « Ce qui m’intéresse le plus, ce sont les gens, raconte-t-il. En Inde, ce sont souvent des personnes issues des castes très basses qui incarnent les divinités. C’est leur métier, elles vont dans les temples et dans les rues et deviennent Shiva, Krishna, Radha, Ganesh… »

Au-delà de la fantaisie volcanique de ces danses costumées, Fréger s’intéresse au monde fragile qui se cache derrière : le dos plié du monsieur qui porte l’immense sculpture en papier mâché de Ganesh, les mains calleuses de certaines personnes, leurs pieds fatigués, les murs dégradés des arrière-plans, les jambes d’hommes en équilibre précaire en dessous d’un énorme éléphant. « Dans cet espace où le divin et l’ordinaire s’entrechoquent, les dieux sont privés du pouvoir et de l’intensité que leur confère le rituel, ils deviennent humains », écrit la romancière Anuradha Roy dans la préface du livre de Fréger Aam Aastha (« Des dévotions communes »), qui compile le volet indien de cette exploration des mascarades à travers le monde. « Les silhouettes colorées et légèrement absurdes qui parlent à travers leurs corps ont un air triste, triomphant, désabusé, anxieux, comique, festif, fatigué, interrogateur. Il s’agit d’un catalogue, non seulement de masques mais aussi d’émotions, qui se lisent en dessous et en dedans. »

danseurs indiens portant des masques d’oiseaux
Ces masques d’oiseaux – des marabouts chevelus – sont utilisés pendant la célébration Borot Utsav, que la communauté Tiwa fête tous les trois à cinq ans pendant la première pleine lune de décembre. Village de Tetelia, dans l’État d’Assam.
danseur indien portant une tête de mort
Asur Sonio porte un crâne durant la procession de Gajan, fête de pré-moisson célébrée une fois par an. Plusieurs fidèles incarnent l’armée des démons en tenant à la main des têtes de mort. Il s’agissait autrefois de vrais crânes extraits de sépultures, mais cette pratique fut interdite après l’indépendance de l’Inde en 1947. Village de Cossimbazar, au Bengale occidental.
danseur indien portant un masque de Ganesh
Le dieu Ganesha accomplit Medha Nacha, une danse exécutée majoritairement par des gymnastes pratiquant l’acrobatie et les arts martiaux, lors des fêtes des temples de Puri. Ils fabriquent d’immenses sculptures de papier mâché qu’ils portent sur le dos. Comme elles sont très lourdes, ils ne font que de petits mouvements de jambes et de mains. Ville de Puri, dans l’État d’Odisha.
danseuses indiennes portant des plateaux lumineux
La danse dévotionnelle Charkula Nritya est exécutée en l’honneur de Radha, épouse de Krishna. Elle évoque la légende selon laquelle sa mère est sortie en courant de chez elle pour annoncer la naissance de sa fille avec une lampe sur la tête, la charkula. Afin de célébrer ce moment de joie, les femmes placent sur leur tête un dispositif lumineux à quatre plateaux, percé de 108 trous, qu’elles allument pour l’occasion. Ville de Mathura, dans l’État de l’Uttar Pradesh.
danseurs indiens costumés en éléphant
La pièce dansée interprétée pendant la fête de Gavri est une forme de culte en l’honneur de Shiva et de Gauri, qui œuvrent à écarter le mal du monde. Village de Badgaon, au Rajasthan.
danseurs indiens portant des plumes de paon
Les Gond forment l’une des plus grandes communautés tribales d’Inde, et célèbrent la danse rituelle Gussadi pour marquer la fin des moissons. Les danseurs portent une coiffe appelée Mal Jali, faite de plus de 10 000 plumes de paon. Ils se peignent le corps avec de la cendre, arborent des bijoux de perles et des habits colorés. Ils sont censés incarner des esprits saints et les gens affluent pour recevoir leur bénédiction. District d’Adilabad, dans l’État du Télangana.
femmes indiennes célébrant l'arrivée du printemps
Dans cette version de Holi, célébration traditionnelle de la fertilité et de l’arrivée du printemps, les femmes frappent de façon ludique les hommes avec des bâtons. Un geste qui mime l’histoire de Radha : surprise avec ses amies par Krishna et ses camarades, elle s’est défendue en les frappant. Ville de Barsana, dans l’Uttar Pradesh.
danseur indien portant un masque de créature surnaturelle
Les kolam sont des animaux, oiseaux, créatures surnaturelles ou objets rituels appartenant à la vieille tradition de la danse rituelle Kolam Thullal. Les danseurs y jouent le rôle de forces spirituelles, dont certaines sont maléfiques, afin d’apaiser les kolam et d’éloigner la maladie et les calamités. Village de Kadammanitta, dans l’État du Kerala.
danseur indien incarnant une déesse hindoue
Pour la fête de Kulasai Dussehra, les danseurs s’attachent dans le dos de multiples bras pour incarner les déesses, après s’être peint intégralement le corps. Puis ils se lancent dans une danse frénétique au son de tambours. Ils passent de maison en maison et reçoivent l’aumône de la part des habitants. Cette fête exubérante se clôt sur la plage où les fidèles rejouent la bataille mythologique entre la déesse Kali et le démon-buffle Mahishasura avant de terminer par un bain sacré. Ville de Tuticorin, dans l’État du Tamil Nadu.
costume de danse indienne Seraikella
Ce costume de gopi – terme sanscrit pour signifier les bien-aimées du dieu Krishna – appartient à la danse Seraikella Chhau, dont les danseurs portent des masques simples, sans couronne ornementale. Inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, le Chhau est une danse folklorique de grande importance en Inde et s’inspire d’épisodes d’œuvres épiques, dont le Mahabharata et le Ramayana. Ville de Seraikella, dans l’État du Jharkhand.