« Des menaces de mort et un kompromat. Si j’avais su… »

Propos recueillis par Florentin Cassonnet Illustré par Paolo Beghini
5 mai 2025
« Des menaces de mort et un kompromat. Si j’avais su… »
La journaliste Emilia Șercan s’est retrouvée, un peu par hasard, à tirer le fil des réseaux d’influence qui accaparent la Roumanie. Son champ d’investigation : les thèses de doctorat de hauts responsables de l’État, un puissant outil de copinage. Son enquête a fait d’elle une cible à abattre.
19 minutes de lecture

Je n’avais jamais imaginé qu’aller à la bibliothèque me mettrait face à tant de dangers et ferait de ma vie un tel calvaire. Des menaces de mort, un kompromat [opération destinée à compromettre la victime, spécialité de la police politique soviétique], une plainte pénale enterrée par la justice roumaine… Si j’avais su, ce lundi 22 juin 2015… J’étais chez moi en train de cuisiner quand j’ai entendu à la télévision que Gabriel Oprea, devenu ministre de l’Intérieur et baron de la politique roumaine après avoir commencé sa carrière dans l’armée du régime Ceaușescu, était nommé Premier ministre par intérim. J’ai eu un réflexe de journaliste – même si je ne l’étais plus à ce moment – qui cherche un angle inédit pour traiter une nouvelle : ce serait le bon moment pour aller consulter sa thèse de doctorat.

Ça me taraudait depuis un article que j’avais écrit en 2003 dans le quotidien Evenimentul Zilei. Comme beaucoup de politiciens roumains, Oprea était docteur, et même professeur et directeur de thèse. Cela lui donnait droit à des émoluments, mais surtout le pouvoir d’octroyer le titre de docteur lui-même, avec les privilèges financiers et statutaires qui vont avec.

 
Couverture Emilia Șercan
Emilia Șercan
Journaliste indépendante et enseignante à l’université de Bucarest, Emilia Șercan a été nominée au prestigieux Prix Europa 2024 pour ses enquêtes sur le plagiat dans les thèses de doctorat de hauts responsables de l’État roumain.

La chute d’un ancien Premier ministre

J’ai commencé ma carrière à Curierul Național à la fin des années 1990, puis j’ai été embauchée à Evenimentul Zilei, que je considérais comme l’Olympe du journalisme roumain – à l’époque. On m’a confié la charge du service enquête. Et nous avons sorti de nombreuses affaires, dont l’histoire de la « tante Tamara », qui a déclenché l’enquête pénale de la direction anticorruption contre l’ancien Premier ministre et très puissant Adrian Năstase. Enquête qui l’a contraint à démissionner de la présidence de la Chambre des députés, marquant le début de sa chute.

Mais, lorsque la crise économique de 2008-2009 a frappé la Roumanie, fragilisant la situation financière de tous les médias roumains, je me suis posé des questions, je n’étais plus sûre de vouloir rester dans le métier. Je ne voulais pas travailler dans des conditions qui affecteraient directement mon travail. L’enseignement semblait un bon plan de repli. Je me suis donc inscrite à un doctorat de sciences de la communication, pour lequel j’ai souffert pendant trois ans. Je n’avais plus de vie personnelle ni professionnelle, je ne regardais plus la télévision ni ne lisais plus de romans. Je passais cinq jours sur sept aux archives nationales et à celles de la Securitate [la police secrète sous l’ère communiste]. Le sujet de ma thèse, c’était « les formes de contrôle dans les médias communistes ». Je l’ai terminée en 2013, à 36 ans.

Première bizarrerie : sa thèse n’était pas dans la bibliothèque, mais dans le bureau du directeur.

C’est donc après avoir moi-même effectué ce travail de thèse, et découvert à quel point il est dur de faire de la vraie recherche scientifique, que j’ai eu envie d’aller à la Bibliothèque nationale pour lire celle de Gabriel Oprea. Je n’avais jamais réalisé une telle démarche, je ne savais pas si c’était simple ou compliqué. D’abord, je suis tombée sur une première bizarrerie : sa thèse n’était pas dans la bibliothèque, mais dans le bureau du directeur. J’ai dû attendre le lendemain pour y avoir accès.

Ensuite, dès que je l’ai ouverte, j’ai eu un premier choc : cette thèse de droit pénal n’avait ni sommaire, ni introduction, ni conclusion, et sa bibliographie comportait seulement vingt-quatre livres, très loin des standards académiques [à titre de comparaison, Emilia avait plus de 300 références dans sa propre thèse de doctorat]. Les polices de caractères étaient différentes d’un chapitre à l’autre, les tailles des caractères changeaient, ainsi que l’espacement entre les lignes, et les styles de citations n’étaient pas homogènes : je trouvais là les premiers signes d’un copier-coller.

Par ailleurs, la toute première note de bas de page, sur la première page, commençait par « op. cit. », qui signifie opus citatum, c’est-à-dire « dans l’œuvre déjà citée ». Pour une première note, ça ne pouvait pas fonctionner. En fait, le passage en question provenait d’un autre ouvrage. Je l’ai retrouvé : il s’agissait du Traité de procédure pénale du professeur Ion Neagu. Formé dans l’ancien régime, cet avocat proche d’Adrian Năstase, ancien député du Parti social-démocrate (PSD), président de l’université privée Nicolae-Titulescu, était le superviseur de la thèse de Gabriel Oprea.

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Doctorat « obtenu de façon frauduleuse »

En fait, Oprea avait recopié mot pour mot, par blocs, des portions entières du travail de son coordinateur et d’autres auteurs. S’il avait mis des guillemets, on aurait vu que sa thèse n’était qu’un assemblage de citations. Je l’avais contacté à l’époque, pour avoir sa version des faits, mais il ne m’avait pas répondu. Comme le confirmera, en avril 2016, la Commission nationale d’attestation des titres, diplômes et certificats universitaires, à l’occasion du jugement sur la thèse d’Oprea, son titre de docteur en droit a été « obtenu de façon frauduleuse ».

J’ai publié mon enquête sur son plagiat pour le site d’information HotNews en juillet 2015 en tant que journaliste indépendante, cinq ans après avoir arrêté le journalisme. Puis, suivant mon intuition, je suis retournée à la Bibliothèque nationale, pour voir si des gens avaient cité la thèse d’Oprea dans leur propre thèse. J’ai tapé « Oprea » dans le moteur de recherche de la bibliothèque. Et là – je n’en croyais pas mes yeux – est apparue une liste de noms que je connaissais bien puisqu’il s’agissait de gens très haut placés : Florian Coldea, le directeur adjoint du Service roumain de l’information – SRI, les services secrets intérieurs –, Bogdan Licu, alors procureur général adjoint et aujourd’hui juge à la Cour constitutionnelle, Daniel Moldoveanu, le chef du département de la sécurité nationale de l’administration présidentielle, Radu Stroe, ancien ministre de l’Intérieur, Mihai Stănișoară, ancien ministre de la Défense, Radu Timofte, ancien directeur du SRI…

Au total, vingt-deux personnalités des services secrets, de la magistrature, des ministères, de la police, des affaires, mais aussi de sa famille, qui avaient eu Gabriel Oprea pour directeur de thèse. J’ai commencé à écrire compulsivement leurs noms dans mon carnet de notes, comme si la liste pouvait disparaître à tout moment. Avaient-ils plagié le travail de leur directeur, ou de quelqu’un d’autre, et obtenu eux aussi leur titre de docteur de manière indue ? J’ai enquêté et publié dans HotNews un second article, puis un troisième… En six semaines, j’ai écrit sur six cas de plagiat.

Une fenêtre formidable sur un monde opaque

Pour Mihai Stănișoară, j’ai eu besoin de seulement deux heures pour découvrir les parties plagiées. Pour Bogdan Licu, c’est 50 % de la thèse qui était issue du plagiat. J’ai appelé ça le « réseau d’Oprea ». Puis les recherches se sont corsées. Jusqu’alors, il était facile d’avoir accès à ces travaux. Il suffisait de remplir un formulaire et, en cinq minutes, je les avais en main. Mais suite à mes enquêtes, la Bibliothèque nationale en a modifié les conditions d’accès. Cela ne m’a pas découragée, au contraire, ce nouvel obstacle m’indiquait qu’il fallait continuer à creuser. Le plagiat devenait pour moi une fenêtre formidable sur un monde opaque : celui des échanges de bons procédés, des abus de fonction et des réseaux d’influence. Déjà omniprésente, bien que masquée, sous le régime communiste, la corruption a perduré après 1989 avec, entre autres, les privatisations très peu transparentes des entreprises d’État. Sans que le nouveau régime ni l’adhésion à l’Union européenne, en 2007, parviennent à la déraciner.

En 2024, la Roumanie a été déclassée de « démocratie défectueuse » à « régime hybride » – le seul parmi les pays de l’UE – dans l’index établi par The Economist Intelligence Unit. Cette étude publiée pour la première fois en 2006 par The Economist Group, qui édite le journal The Economist, analyse la situation de 167 pays selon soixante critères mesurant le processus électoral et le pluralisme, les libertés civiles, le fonctionnement du gouvernement et la culture politique. En haut du classement se trouvent les « démocraties à part entière », suivies des « démocraties défectueuses », puis les « régimes hybrides » et les « régimes autoritaires ».

L’annulation de la présidentielle de décembre 2024 a joué un rôle important dans la rétrogradation de la Roumanie. Pour rappel, la Cour constitutionnelle a annulé le scrutin deux jours avant le second tour qui devait opposer le candidat d’extrême droite Călin Georgescu, favori, à la libérale Elena Lasconi, sur la base d’un rapport déclassifié des services secrets faisant état de fraudes et d’ingérence de la part d’un « acteur étatique » en faveur de Georgescu. Mais cet événement exceptionnel, c’est le fruit pourri de pratiques systémiques qui ont empêché notre démocratie de se consolider après la chute du régime Ceaușescu. Et qui rendent notre pays hautement vulnérable aux vents néofascistes soufflant aujourd’hui sur l’Europe.

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Plus de cinquante plagiaires haut placés

J’aime les faits. Je suis quelqu’un de très méticuleux. J’adore me plonger dans les détails, puis relier les points pour faire apparaître l’image complète. C’est comme un jeu pour moi. Quand j’étais enfant déjà, je me plongeais dans les documents de famille. Au début de ma carrière journalistique, j’ai trouvé le moyen de prouver que des politiciens possédaient des propriétés qu’ils n’avaient pas déclarées en utilisant l’annuaire téléphonique [Emilia avait compris que les lignes étaient enregistrées au nom du vrai propriétaire, même si l’adresse l’était sous un autre nom au cadastre].

On peut enquêter même en l’absence de sources humaines. C’est ce que j’ai fait, même si j’ai aussi été aiguillée par des interlocuteurs qui me suggéraient de regarder à certains endroits. Finalement, j’ai écrit sur plus de cinquante plagiaires haut placés, documents à l’appui. Certains ont dû renoncer à leur poste, beaucoup sont restés en place. En reliant les points, ces enquêtes m’ont surtout permis de décrire un système.

Arrêtez toutes vos activités. Si vous ne voulez pas qu’un calvaire arrive…

Quand j’ai commencé à écrire sur les « écoles doctorales » de la police et des services secrets, ça s’est vraiment gâté. C’est en passant par ces institutions que Gabriel Oprea a pu devenir professeur et directeur de thèse sans passer le concours national à l’université. Ces établissements publics, opaques et militarisés, qui n’ont rien d’académique ni d’universitaire, jouent un rôle très important en Roumanie. Ils servent à former les membres des services de sécurité et, grâce à des modules de quelques semaines et des programmes doctoraux ouverts aux civils, leur permettent de tisser des liens avec des politiciens, des entrepreneurs, des juges… Cela fait de ces académies un vecteur d’influence des services secrets sur la société et la politique roumaines.

Là encore, il est difficile d’écrire de manière tangible sur cette influence. Mais j’ai démontré en mars 2019 qu’Adrian Iacob, à l’époque recteur de l’Académie de police, avait obtenu son doctorat en 2007 avec une thèse contenant 70 % de plagiat. Cela m’a valu de recevoir un SMS terrible le 15 avril suivant. La menace explicite arrive dans les douze derniers mots du message, que je n’ai pas voulu rendre publics pour protéger mes proches. Le début, lui, dit : « Nous envoyons ce message pour prévenir ce qui va se passer ensuite, tout dépend de vous. Arrêtez toutes les activités que vous avez en cours. Si vous ne voulez pas qu’un calvaire arrive […]. » Je l’ai lu à 21 h 05 en sortant du supermarché et je suis allée directement porter plainte, car ça ne ressemblait pas aux intimidations que j’avais l’habitude de recevoir. La justice a fini par établir qu’Adrian Iacob et le vice-recteur Petrică-Mihail Marcoci étaient à l’origine du message, envoyé par un tiers. Ils ont été condamnés à trois ans de prison avec sursis pour chantage. Le jugement a été confirmé en appel par la Haute Cour de cassation et de justice en juillet 2022.

Clichés intimes postés sur des sites pornos

Mais je suis entrée encore un peu plus dans l’œil du cyclone. Car j’ai écrit sans relâche sur le système de fraude académique, des enquêtes publiées dans PressOne, l’un des quelques bons journaux indépendants de Roumanie, avec qui je collabore depuis fin 2015. Le 18 janvier 2022, j’ai publié mon enquête sur la thèse de doctorat – plagiée, elle aussi – de celui qui venait d’être nommé Premier ministre, Nicolae Ciucă, cadre du Parti national libéral et proche du président Klaus Iohannis. Le lendemain, j’ai reçu une nouvelle menace : « Si le général Ciucă n’a pas plagié et que tu mens, on t’enverra des ombres pour te suivre dans la rue, à ton travail, dans ta maison et jusque dans ton intimité. »

J’ai reçu d’autres menaces le 2 février, puis le 16 février. Un inconnu m’a ensuite alertée sur Facebook que des photos intimes de moi avaient été publiées sur des sites pornographiques. Ces clichés avaient été pris il y a vingt ans par mon fiancé de l’époque, dans l’appartement où nous vivions. On me voit dans des situations de la vie quotidienne, par exemple en serviette à la sortie de la douche. J’étais choquée. Quand avaient-elles été volées ? Cela reste un mystère.

Ce que je sais, c’est qu’immédiatement après que j’ai porté plainte au commissariat, la capture d’écran du message envoyé par l’inconnu, que j’avais transmise à la police, a été publiée sur un site du réseau médiatique Realitatea. Un faisceau de preuves, documenté avec l’aide d’Amnesty Tech, Citizen Lab et Bitdefender – trois entités spécialistes en cybersécurité qui ont analysé les métadonnées des images publiées –, indique que quelqu’un, au sein de la police, l’a fait fuiter.

J’ai dû arrêter d’écrire mes articles. J’ai dû arrêter d’enseigner à la fac.

Ensuite j’ai bataillé pour faire retirer les photos, mais elles sont réapparues. Je me suis sentie comme assiégée. Rétrospectivement, je ne sais pas comment j’ai tenu. Je suis étonnée de la force que j’ai eue à cette période. J’ai réussi à me protéger mentalement malgré ce kompromat. Ma thérapie hebdomadaire m’a aidée, même si je n’arrivais pas à parler de ce qui était en train de se passer. Le traumatisme était probablement trop frais.

Je suis une femme seule et j’écris sur les hommes les plus puissants du pays – car, au sommet de ces réseaux, ce sont presque toujours des hommes. Avec mes articles, j’ai ennuyé des gens très influents dans les institutions étatiques. Et encore, je n’ai documenté qu’une petite partie de cet iceberg de fraudes. Un certain nombre de personnes avaient intérêt à ce que j’arrête mon travail, comme il m’a été demandé dans les messages de menaces. Eh bien, en 2022, « ils » – comme je les appelle – ont réussi : après avoir porté plainte contre X pour violation de vie privée, j’ai dû arrêter d’écrire mes articles pour me consacrer à ma défense, car au début je n’ai trouvé aucun avocat acceptant de le faire. Le nombre de mes publications dans PressOne a chuté. J’ai dû arrêter d’enseigner à la fac de journalisme, activité que je menais depuis 2009.

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Deux ans de torture judiciaire

En février 2023, un an après la mise en œuvre du kompromat, j’ai perdu le procès en première instance. Le procureur avait divisé l’affaire en six dossiers, chacun instruit par un juge différent, avant de la classer sans suite. Son verdict : il n’y avait pas eu violation de ma vie privée. Des photos de moi à moitié nue dans ma salle de bain ! Après deux ans de torture judiciaire pendant lesquels j’ai dû apprendre le Code de procédure pénale et manifester seule devant le bureau du procureur général – avec une des photos de moi à moitié nue, agrandie, pour montrer à quel point il était choquant de dire qu’il n’y avait pas violation de vie privée –, j’ai fini par gagner, en appel, en avril 2024.

La juge Elena Barbu a statué que le procureur Mihai Hondor, aujourd’hui à la retraite, avait « administré de manière sélective » les preuves du premier dossier du kompromat. Elle a établi que les faits commis avaient « un caractère complexe, coordonné et organisé » qui « présent[ait] une gravité particulière pour l’État de droit ». Elle a décidé que le ministre de l’Intérieur de l’époque, Lucian Bode, devait faire l’objet d’une enquête approfondie pour avoir favorisé le ou les auteurs possibles du kompromat. Lucian Bode, qui a plagié près de 20 % de sa thèse de doctorat, avait alors pour directeur de cabinet Marius Florin Mihăilă, l’ancien président de la commission d’éthique de l’Académie de police, sur lequel j’avais écrit.

Ce jugement est une bonne nouvelle pour les journalistes roumains, mais la partie est loin d’être gagnée. Le réseau de Gabriel Oprea est toujours actif, de même que le système qu’il nourrit et que certains appellent l’« État parallèle ». Pour ne donner qu’un seul exemple, Eugen Bejinariu, un ancien proche d’Adrian Năstase et de Gabriel Oprea, a admis être un ami « depuis les années 1990 » d’Alexandru Bittner et Dorin Cocoș, deux influents hommes d’affaires liés à l’ancienne Securitate communiste, qui se sont enrichis lors des privatisations des années 1990. Et c’est ce même Eugen Bejinariu qui est aujourd’hui responsable du contrôle civil du SRI, le plus important service secret roumain, par une commission parlementaire.

La bonne nouvelle, c’est que je peux retourner à la bibliothèque et reprendre mon travail.

De l’extérieur, on pourrait penser que je suis parano, mais je décris la réalité du pays. Et les Roumains la sentent, cette réalité. Ce n’est pas pour rien que les discours complotistes trouvent un tel écho dans notre société actuelle. C’est devenu un levier politique pour les partis d’extrême droite, qui explique le succès du label « anti-système » et, en partie, l’arrivée de Călin Georgescu, candidat « indépendant », au second tour de la présidentielle annulée en décembre 2024. L’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR), dont il a été membre, est ainsi devenue le deuxième parti politique du pays quatre ans seulement après sa création, avec un programme nationaliste, eurosceptique et ultraconservateur. Et l’extrême droite se rapproche à grande vitesse du pouvoir.

Mais la bonne nouvelle pour moi, c’est que je peux désormais retourner à la bibliothèque et reprendre mon travail. Quand il n’y a pas trop de monde, je vais m’asseoir à ma place préférée, près d’une fenêtre, avec en ligne de mire le gigantesque et mal nommé Palais du peuple, construit par Nicolae Ceaușescu, qui abrite aujourd’hui les deux chambres du Parlement de notre démocratie de papier. Je peux continuer à fouiller dans les thèses et autres documents. Car le réseau de Gabriel Oprea est loin d’être le seul. En ce moment, je travaille sur un autre réseau de ce type, et j’ai déjà relevé quarante-neuf noms, dans tous les milieux – la politique, la justice, la police et les affaires.

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