Il faut plus de douze heures de pirogue en saison sèche, entre les rives française et surinamaise du Maroni, pour atteindre la ville de Maripasoula, avant de s’enfoncer plus loin dans le Parc amazonien de Guyane (PAG). En l’absence de routes, les habitants des communes enclavées empruntent le fleuve. Ils ne sont pas les seuls : les garimpeiros, les orpailleurs illégaux, principalement originaires du Brésil, ont besoin de l’utiliser, eux aussi.
Certes, les pirogues doivent s’arrêter lorsqu’elles tombent sur un long filet, barrage filtrant de l’un des six postes de contrôle fluvial des forces armées françaises. Mais, jusqu’à présent, la surveillance était compliquée. Dans la forêt équatoriale, les gendarmes se trouvent en zones blanches. Difficile pour eux d’appeler le Centre de conduite des opérations, des renforts ou d’autres unités. Ils ont longtemps recouru à une solution coûteuse et qui ne permet pas un débit suffisant : le système BGAN (Broadband Global Area Network), qui s’appuie sur des satellites géostationnaires.
Tout a changé quand, en 2023, une petite antenne satellite blanche qui attire l’œil est apparue sur le barrage. Elle est reliée « au plus grand ensemble de satellites avancés qui existe, en orbite basse autour de la Terre », promet SpaceX. Car c’est la société du milliardaire Elon Musk qui a développé le réseau Starlink.
Une visio pour les gardés à vue
Environ 400 sites d’orpaillage illégal en Guyane ont été recensés en 2023 par la préfecture. Le fleuve permet aux garimpeiros d’opérer en forêt et de s’approvisionner dans les comptoirs du Suriname. Les embarcations transportent notamment beaucoup de mercure. Interdit en France depuis 2006, ce métal liquide utilisé pour extraire l’or provoque une pollution dévastatrice pour les habitants et l’écosystème.
L’État français a bien lancé en 2008 l’opération Harpie, qui mobilise plus de cinquante gendarmes et 200 membres des forces armées, mais son impact est limité. « Pour nous, Starlink, c’est une révolution, se félicite Éric Fortin, gendarme de la brigade en charge de son déploiement. On peut avertir des collègues de la présence d’un camp d’orpaillage à proximité. » Les contrôles sont aussi simplifiés avec l’accès en direct au fichier des personnes recherchées (FPR). Et la possibilité de présenter par visioconférence des individus placés en garde à vue plutôt que de les acheminer en avion.
Si ce n’est que l’utilisation de Starlink a d’abord été interdite aux organismes gouvernementaux. Avant d’être finalement autorisée en avril 2023. « Trois mois après que les orpailleurs clandestins y ont eu accès », déplore le gendarme. Les garimpeiros ont profité de leur avance pour équiper de nombreux sites de ces antennes.
Du mercure dans les cheveux
Résultat : ils sont désormais plus rapidement au courant des interventions de l’opération Harpie. « Quand notre hélicoptère décolle de Maripasoula, tous les orpailleurs le savent en quelques minutes. Ils peuvent cacher leurs installations ou prendre la fuite », résume un militaire. Ils peuvent aussi mieux préparer leurs attaques sur les sites d’orpaillage légaux. En mai 2024, la Fédération des opérateurs miniers de Guyane (FEDOMG) a alerté sur l’insécurité grandissante en forêt, où « plus de 10 000 orpailleurs sévissent en toute impunité ».
La course à l’armement numérique est donc lancée. « En 2025, nous allons tester une pirogue équipée d’une antenne pour effectuer nos contrôles directement sur le Maroni », promet Éric Fortin, s’inspirant d’une idée déjà mise en œuvre… par les clandestins. Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien, plaide, lui, pour une autre stratégie, « le renforcement de la coopération avec le Brésil et le Suriname ». En attendant, les ravages se poursuivent. Selon l’association Wild Legal, des taux de mercure dix fois plus élevés que les recommandations sanitaires ont été relevés dans les cheveux des habitants du Haut-Maroni.