Lions, girafes, léopards, éléphants : depuis près de deux décennies, David Chancellor braque son objectif sur les adeptes de la chasse aux trophées, ici en Afrique du Sud et Namibie, qu’il immortalise avec les dépouilles des animaux tout juste abattus.
Avant que David Chancellor presse le déclencheur, son modèle s’est paré le visage du sang du nyala qu’elle vient d’abattre en Namibie. Pour tuer cette antilope mâle d’une centaine de kilos, la touriste a fait appel à une entreprise spécialisée dans la chasse aux trophées. La pratique consiste à débourser des milliers d’euros pour abattre de grands animaux sauvages – souvent rares, voire en voie de disparition – pour ramener tout ou partie de leur dépouille comme trophée. L’un de ses adeptes, le dentiste américain Walter Palmer, avait défrayé la chronique en 2015, après avoir abattu le lion Cecil, fauve à la crinière noire, icône d’un des parcs naturels du Zimbabwe. Les safaris de chasse, hérités de l’expansionnisme européen en Afrique, ont commencé à être à la mode au début du XXe siècle. L’achèvement en 1901 du chemin de fer en Ouganda, reliant Kampala à la ville portuaire kenyane de Mombasa, permet d’accéder plus facilement à l’intérieur des terres de ce que l’on appelle alors l’Afrique orientale britannique et qui regorge de gros gibiers. L’aristocratie britannique et les très riches élites américaines vont alors payer des colons pour leur servir de guide. Le recours à ces « chasseurs blancs » a ensuite rapidement essaimé dans le reste de l’Afrique. « Aujourd’hui, c’est en Afrique du sud que l’industrie de la chasse est la plus développée. Elle existe aussi au Zimbabwe et en Namibie, où cette photo a été prise. Il y a toujours une attitude extrêmement colonialiste dans la chasse aux trophées, c’est ce que j’essaie de transmettre en utilisant le même cadrage frontal que les photographies du début du siècle dernier », explique David Chancellor. Pour tuer un babouin, comptez 250 dollars, 35 000 pour un lion mâle, 12 000 pour un léopard, 25 000 pour un éléphant, un peu plus de 1 000 pour un nyala, comme celui-ci abattu dans la province du Cap oriental en Afrique du Sud ; pour un rhinocéros, envoyez un message privé. Sur Internet, les entreprises de chasse aux trophées du pays affichent d’interminables listes de prix. On y trouve des « packages » à plusieurs dizaines de milliers de dollars pour tuer trois, cinq ou dix animaux différents, lors d’un même voyage. Les tarifs de ces « expériences inoubliables », comme les appellent les vendeurs de safari, n’incluent pas le transport, la location des armes ni les frais de taxidermie, mais offrent la connexion Wi-Fi. « Il y a deux siècles, cette interaction mortifère avec la vie sauvage était limitée à un cercle extrêmement restreint de personnes. Maintenant, les prix ne sont plus du tout inaccessibles. Sur mes photos, il y a des médecins, des juristes ou même de simples mécaniciens… », déplore David Chancellor. Pisteurs, guides, taxidermistes... Tuer certains animaux – sauvages et imprévisibles – requiert une importante équipe, mais aussi du temps : deux à trois semaines pour un éléphant, par exemple. Pour une girafe, comme celle-ci abattue à 250 kilomètres au sud-est de Johannesburg, la plupart des entreprises prévoit une semaine de safari. « Le chasseur suit l’animal pendant des jours (en jeep et à pied, parfois à cheval, ndlr) il sait où il se nourrit, où il dort, où il se lave, qui sont ses congénères. J’ai vu beaucoup d’entre eux pleurer une fois la bête abattue. Certains prient, demandent du temps pour rester assis avec l’animal mort, ils le caressent, lui parlent. Certains demandent pardon ou remercient Dieu de leur succès. D’autres s’ouvrent une bière ou s’allument une cigarette. » Cette femme se recueille sur le gnou qu’elle vient d’abattre dans le crépuscule namibien. « Si la chasse aux trophées reste un milieu très masculin, de plus en plus de femmes s’y adonnent. De ce que j’ai pu observer, elles sont souvent plus efficaces que les hommes, plus calmes. La mort de l’animal est moins une célébration où l’on se tape dans le dos en criant, qu’un moment d’introspection. Difficile de comprendre la motivation de quelqu’un qui abat un animal, mais elles semblent faire preuve de plus de considération », note le photographe britannique. Ces touristes ont traversé l’Atlantique pour venir chasser en famille. Ils posent ici dans une ferme abandonnée en Afrique du Sud. Dans le pays, l’élevage de bétail traditionnel a pâti du développement de l’élevage, bien plus lucratif, de gros gibiers destinés à la chasse en enclos, rapporte le photographe. « On y compte des centaines de ranchs où environ 11 000 lions sont élevés et maintenus en captivité, alors qu’on en dénombre moins de 3 000 à l’état sauvage. » Les États-Unis ont interdit en 2016 l’importation de trophées de lions élevés en captivité en provenance d’Afrique du Sud. « Si plus personne ne peut en tirer de revenus, que va-t-il arriver à ces félins instables, incapables de survivre à l’état sauvage ? Ils vont être massacrés. » Josie a 14 ans. Elle est venue d’Alabama pour tuer son premier animal sauvage en Afrique du Sud. Elle rapporte l’antilope abattue un peu plus tôt dans la journée au camp où elle loge avec sa famille le temps de son séjour. « Elle tenait les cornes de l’animal mort pour l’empêcher de basculer du cheval. J’ai voulu explorer le contraste entre la tranquillité du lieu, la beauté éthérée de l’adolescente et le corps sans vie de l’antilope. De nombreux Américains emmènent leurs enfants quand ils atteignent l’âge de 15 ou 16 ans, ils y voient un rite de passage, une transmission entre les générations », relate David Chancellor. Un chasseur et son épouse posent dans une ferme de la province du Cap oriental en Afrique du Sud, où des animaux sauvages sont élevés pour y être chassés. « Cette pratique n’est plus cantonnée aux pays d’Afrique. Des espèces protégées sont désormais élevées aux États-Unis pour qu’on puisse les tuer sans avoir à traverser l’océan. Zèbres, girafes, antilopes : il est possible de venir chasser la majeure partie des espèces africaines au Texas. Une pratique qui nuit grandement à l’équilibre des écosystèmes », dénonce David Chancellor. Chaque année dans le monde, environ 200 000 animaux sauvages finissent en trophées chez de riches Occidentaux, estiment les associations de protection de la nature.