Aux États-Unis, des garants professionnels financent la libération sous caution de prévenus. Mais lorsque leurs clients disparaissent
des radars, l’affaire se corse.
La photographe Clara Vannucci s’est immergée dans un univers testostéroné, entre planques nocturnes et traques musclées dans les bas-fonds de New York.
Apparus à la fin du XIXe siècle aux États-Unis, les bureaux des garants (les bail bondsmen ) sont judicieusement installés face aux commissariats et aux prisons. Nombre de personnes y défilent, en quête d’un professionnel qui avancera la caution de leur proche en détention. Les frères Zouvelos travaillent à Brooklyn. Bobby (à gauche) est l’aîné ; George, le patron. Quand Clara Vannucci les photographie, en 2013, New York compte une vingtaine de bondsmen . Dix ans plus tard, on en dénombre au moins le double. Fumant cigarette sur cigarette, George passe ses journées à traiter la paperasse et à enregistrer de nouveaux prévenus. Son bureau croule sous les dossiers, les liasses de billets et les menottes. L’agent de cautionnement l’a fait peindre en bleu, pour rappeler le drapeau de la Grèce, son pays d’origine. Il arbore une énorme croix en or autour du cou et des bagues à tous les doigts. Les liasses de billets correspondent aux services facturés aux clients – en général, 10 % de la caution. Dès que George a payé la garantie, qui peut atteindre plusieurs milliers de dollars, les prisonniers sont libérés. Ces derniers ont alors 48 heures pour se présenter à son bureau. Les prévenus libérés sous caution ont interdiction de quitter l’État. Ils doivent pointer chaque semaine chez le bondsman , honorer les convocations des juges, et indiquer tout changement de situation. Comme près d’un prévenu sur dix, ces hommes ont enfreint ces règles. La photo d’identité judiciaire du rappeur Snoop Dogg sert de publicité au garant. Souvent, les prévenus débarquent dans les bureaux de George la nuit, débraillés, fatigués, pas douchés depuis des jours. L’agent de cautionnement prend alors une photo pour les identifier. Des clichés rarement flatteurs. George piste également les prévenus en fuite. Il ne récupérera sa caution que si ces derniers se présentent devant la justice. C’est un business risqué. George a parfois des centaines de milliers de dollars en attente dans les tribunaux. Il doit alors mettre sa maison en gage. Pour ramener les récalcitrants devant la justice, les bondsmen emploient parfois des chasseurs de primes, autorisés par la loi à entrer et fouiller sans mandat chez les prévenus ou leurs proches. Dans certains États, ceux-ci peuvent porter des armes à feu, comme ici dans le Maryland. Les chasseurs de primes travaillent souvent pour plusieurs bondsmen . Vinny (en tee-shirt blanc) est un collaborateur régulier de George. L’ancien videur a ses propres équipes. Avec leurs tasers, leurs gilets pare-balles et leurs menottes, ils ont un équipement proche de celui la police. La ville de New York leur interdit toutefois le port d’armes à feu. George (à droite) et son frère Bobby passent de nombreuses nuits en planque à surveiller les domiciles des accusés qui ne donnent plus signe de vie. Dans l’attente d’un mouvement ou d’une lumière qui s’allume, ils mangent de la junk food sur fond de hip hop en évoquant les dossiers dans un mélange de grec et d’anglais. Souvent, comme ce soir-là, il ne se passe rien. Vinny, ici en mission à Harlem en 2012, est chasseur de primes à temps plein. Avec son physique dissuasif, cet amateur de pêche, de barbecues et de foot américain incarne un certain cliché du mâle aux États-Unis. Une grande partie des personnes arrêtées à New York – plus de 92 000 en 2023 – sont des Afro-Américains ou des Latinos vivant dans les barres d’immeubles qui donnent à la ville son côté futuriste et sombre. « C’est la face cachée de New York » , souligne la photographe. Vinny s’apprête à entrer chez un prévenu, à Harlem. Les deux chasseurs de primes qui l’accompagnent sont équipés de gilets pare-balles. Vinny n’en porte jamais, même quand il travaille dans des États où la législation sur les armes à feu est plus souple qu’à New York. Il ne s’est jamais fait tirer dessus. Vinny interroge la mère d’un prévenu pour savoir où se trouve son fils. Par souci de discrétion, les chasseurs de primes se rendent généralement au domicile des prévenus la nuit. C’est aussi le moment où ils ont le plus de chance de les trouver chez eux. La loi leur permet de débarquer à n’importe quelle heure. Quand les prévenus recherchés sont absents, Vinny collecte des informations en faisant du porte-à-porte ou chez les proches. Il renseigne parfois la police sur la présence d’armes ou de drogue. Cet homme photographié en 2013 n’a pas pointé pendant plusieurs semaines. Quand il arrive à l’agence de George, qui fait face au tribunal de Brooklyn, il est immédiatement arrêté et incarcéré. Il ne pourra plus prétendre à une libération avant son jugement. Les États-Unis comptent la plus forte proportion de détenus au monde.