Âges et vie, des colocations pour seniors à tout prix

Écrit par Laurence Delleur Illustré par Matthieu Chiara
En ligne le 10 mai 2024
Âges et vie, des colocations pour seniors à tout prix
Qui s’occupera de nos aînés d’ici à 2050 quand le nombre de plus de 75 ans aura quasiment doublé en France ? La question se pose pour les maires des petites communes, qui n’ont ni les moyens ni les compétences pour organiser cette prise en charge. Alors dans cette faille du service public s’engouffrent des entreprises privées qui proposent des alternatives alléchantes. Parmi elles, Âges et vie, pionnière en la matière et rachetée fin 2017 par Korian, devenu Clariane, effectue depuis 2008 un maillage du territoire rural, en construisant des habitats partagés destinés aux personnes âgées. L’enthousiasme des édiles et des futurs résidents est grand, à la hauteur de la désillusion que certains vont connaître… Une enquête exclusive de « XXI ».
38 minutes de lecture
Chapitre 1

L’appât : le mirage du « all inclusive »

Chapitre 1 L’appât : le mirage du « all inclusive »

Le maire de Saint-Sylvestre-sur-Lot était le conseiller patrimonial d’Anna Sézilles au Crédit agricole. En 2020, lorsqu’il se présente pour un deuxième mandat, la vieille dame accepte de voter pour lui. À une condition : « Je voulais qu’il fasse quelque chose pour les personnes âgées, se souvient la femme de 93 ans. J’espérais un genre de maison familiale, où on n’aurait rien à faire et où on serait surveillés. » Le maire donne sa parole. Il est réélu. Aujourd’hui, pourtant, Anna vit toujours chez elle, isolée. « Je ne peux plus sortir, j’ai trop de mal à marcher. Je vis ici, avec mes souvenirs », confie-t-elle, calée dans son fauteuil fixé à la rampe électrique de l’escalier. Quand elle actionne sa télécommande, celui-ci la hisse jusqu’à l’étage, où se situent les pièces à vivre.

La proposition était très séduisante sur le papier lorsque Yann Bihouée l’a reçue il y a quelques années. Âges et vie le démarchait par mail pour construire une colocation dans sa commune. Une offre « clé en main ». Pas d’argent à dépenser, pas d’emprunt à contracter, pas de structure à gérer : la société s’occupait de tout. Le concept ? Deux bâtiments côte à côte, pouvant accueillir chacun huit personnes âgées, une vie « comme à la maison », mais en colocation. Surtout : une présence « 24 h/24 », « pour un coût quotidien de 2 heures 30 d’aide à domicile classique », « 7 jours sur 7 ». Une aubaine. Pour cela, une équipe de six auxiliaires de vie à temps plein allait être embauchée. Deux d’entre elles vivraient sur place, à l’étage, et interviendraient la nuit en cas de besoin. Âges et vie se positionnait dans ses supports de communication comme une « vraie alternative à l’Ehpad », les maisons accueillant des résidents jusqu’au niveau de dépendance GIR 2 (sur six, GIR 1 étant celui de la plus grande dépendance), à savoir une personne alitée ou en fauteuil.

Une enquête XXI et un documentaire Arte
Couverture Hold-up sur les vieux
Hold-up sur les vieux
En plus de cette enquête sur Âges et vie, notre journaliste Laurence Delleur signe avec Nathalie Amsellem « Hold-up sur les vieux », un documentaire de quatre-vingt-dix minutes où elle décrypte la mainmise du secteur privé sur la prise en charge des personnes âgées en Europe. Il est disponible en ligne jusqu’au 13 décembre 2024 et sera diffusé en direct sur la chaîne Arte le mardi 14 mai, à 20 h 55.
France, 2024, coproduction : Arte France, Capa Presse
Voir le documentaire sur arte.tv

À dix minutes à pied de chez Anna, les deux maisons flambant neuves se dressent désormais au milieu d’un large terrain. Places de parking, local poubelles, boîtes aux lettres… même les fils à linge sont en place. Mais les volets demeurent baissés depuis plus d’un an et demi. Pourquoi la colocation reste-t-elle fermée ? Nul ici ne le sait. Le maire lui-même ignore dans quel bourbier il est tombé.

Anna et Béatrix s’y voient déjà

Tout avait pourtant bien commencé. Située à une trentaine de minutes d’Agen, Saint-Sylvestre-sur-Lot a l’avantage de posséder de multiples commerces de proximité et un maillage médical dense, des critères décisifs pour l’implantation de telles structures. Éric Laffargue, chargé de la prospection immobilière d’Âges et vie en Nouvelle-Aquitaine, s’enquiert donc rapidement des terrains constructibles disponibles et jette son dévolu sur le lieu-dit de La Mariniesse, à cinq minutes à pied de la mairie. Les négociations se déroulent à l’été 2020. Yann Bihouée, installé dans son bureau autour d’un café fumant, se targue d’abord d’avoir fait une bonne affaire : « La mairie avait acheté ces terrains autour de 10 euros du mètre carré, je les ai revendus le double. » Avant de reconnaître que le prix du marché était de 48 euros le mètre carré et qu’il a concédé un gros rabais : « À ce prix-là, ils ne s’implantaient pas, le commercial me l’a dit clairement. »

L’ancien cadre de banque se trouve aujourd’hui fort gêné. Dans le bulletin municipal, Yann Bihouée a fait gratuitement, à plusieurs reprises, la promotion de ce nouvel établissement : « La publicité, c’était une demande d’Âges et vie pour qu’on les aide à trouver des locataires. » En janvier 2023, Anna Sézilles et Béatrix Colas, sa voisine, sont ravies que la construction soit terminée et s’y voient déjà. Les deux voisines sont allées visiter une autre colocation de ce type à quarante kilomètres de là.

Les maisons sont quasi identiques dans toute la France. À l’intérieur, une grande pièce de plain-pied avec un coin salon autour d’un large écran de télévision, une table de salle à manger accueillant une douzaine de convives et une cuisine américaine. De part et d’autre, huit vastes chambres avec salle de bains attenante, ouvrant chacune sur l’extérieur grâce à une porte-fenêtre. Les meubles – toujours semblables, de type Ikéa – sont colorés, la pièce principale, dotée d’une grande baie vitrée, est lumineuse. Dès leur retour, Anna et Béatrix s’inscrivent dans la nouvelle structure.

Obtenir des terrains au meilleur prix

Les cheveux gris, chaussé de lunettes, la soixantaine passée, Yann Bihouée a fait de ce sujet l’une des priorités de son mandat : trouver des solutions pour les personnes âgées sur sa commune. Sur 2 400 habitants, plus d’une centaine ont 90 ans et au-delà. Il n’est pas le seul élu à se soucier du vieillissement de sa population. En France, d’ici à 2050, le nombre de femmes et d’hommes de plus de 75 ans devrait quasiment doubler, selon les projections de l’Insee. Parallèlement, la situation des Ehpad n’a jamais été aussi préoccupante. 85 % des établissements publics sont en déficit ; les structures privées pâtissent d’une mauvaise image et ne font plus guère recette – l’affaire Orpea est passée par là. Nos aînés ne sont plus très nombreux à postuler pour finir leurs jours dans des maisons de retraite devenues des lieux de grande dépendance.

Les élus appellent donc de leurs vœux l’installation de structures d’un nouveau genre pour accueillir les anciens quand ils ne peuvent plus rester seuls chez eux. Or les petites communes n’ont ni le budget ni les compétences pour les construire et les gérer. C’est dans cette faille que s’est engouffrée dès 2008 l’entreprise de colocation entre seniors Âges et vie. Elle n’est pas la seule sur ce marché. CetteFamille ou encore Domani proposent aussi des habitats partagés de taille familiale, mais Âges et vie a un temps d’avance sur ses concurrents, lancés dans la course plus tardivement – en 2016 et 2019.

Pour chaque implantation, le mode opératoire est identique. Les commerciaux comme Éric Laffargue, payés à la commission, ont une mission : obtenir les terrains au meilleur prix. Les comptes-rendus des conseils municipaux sont des mines d’information à cet égard. D’un bout à l’autre de la France, les mêmes mots reviennent en boucle. Le projet, visant à « sortir de l’isolement social » les personnes âgées, répondrait à des « considérations d’intérêt général ». La société y est régulièrement présentée comme une « association » par les élus et les journalistes locaux.

Des « militants du bien vieillir »

La confusion planant sur le statut d’Âges et vie semble avoir joué en faveur de transactions immobilières largement en dessous des prix du marché. Le maire de Saint-Sylvestre est loin d’être le seul à avoir fait un effort financier. À Riorges (Loire) par exemple, le prix était six fois inférieur à celui fixé par les ventes du Domaine, l’agence immobilière de l’État.

Qui sait que le promoteur de la colocation entre personnes âgées appartient à une multinationale cotée en bourse, le premier groupe européen de maisons de retraite et de soins aux personnes âgées, au chiffre d’affaires de 4,5 milliards d’euros en 2022 ? Pas la majorité des élus locaux rencontrés. Car Âges et vie reste très discrète dans ses échanges avec eux sur le nom du groupe qui l’a racheté en décembre 2017 : à savoir, Korian – devenu depuis Clariane.

En revanche, les fondateurs d’Âges et vie relatent à l’envi leur histoire dans les médias et les supports de communication : celle de « militants du bien vieillir ». Simon Vouillot et Nicolas Perrette, ont été membres du cabinet de Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d’État chargée des personnes âgées dans le gouvernement Jospin. À l’époque, cette ancienne infirmière a contribué à changer le regard sur le vieillissement et créé l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, une aide financière allouée en fonction du degré de dépendance.

Les pères d’Âges et vie, des « provinciaux » comme ils se qualifient eux-mêmes volontiers, originaires du Doubs, s’inscriraient dans la droite ligne de leur ancienne patronne, qu’ils appellent « Paulette ». Dans une interview donnée en mai 2021, Simon Vouillot, quinquagénaire à l’air jovial, vêtu simplement, en chemise blanche et pull gris en col V, résume ainsi leurs valeurs : « On a un terme que j’aime bien employer, parce qu’on est un peu militants […] dans notre approche chez Âges et vie, c’est “je vieillis, je choisis” […] Pourquoi on se développe très fortement ? […] Parce que, justement, de plus en plus de personnes âgées veulent être acteurs de leur vie. »

Fasciné par Bernard Tapie

Dans un post publié sur sa page Facebook, le même Simon Vouillot – alors directeur général d’Âges et vie – confie pourtant que, sur les murs de sa chambre d’étudiant, il avait accroché le poster de Bernard Tapie. Le jeune homme était alors fasciné par le self-made man, même s’il connaissait son côté « tricheur, roublard, malhonnête ». « C’est lui qui m’a donné envie de créer mon entreprise, » confesse-t-il dans ce post daté du 3 octobre 2021, jour du décès du businessman.

Les affaires de Vouillot ont démarré plus humblement que celles de son idole cependant. Avec Nicolas Perrette, ils ont commencé par fonder en 2003 une société fabriquant des accessoires servant à retirer les bas de contention. Avant de faire la connaissance d’un banquier du Crédit agricole, Thierry Morel, et de travailler un temps pour Villa Family dans l’est de la France. Le principe ? Faire financer par des investisseurs privés la construction de résidences dans lesquelles des familles d’accueil s’occupent de personnes âgées.

L’idée séduit nombre de maires ruraux à l’époque, qui fournissent le terrain pour un euro symbolique… et se retrouvent quelques années plus tard le bec dans l’eau lorsque la société est placée en liquidation judiciaire. Les trois hommes quittent alors le navire. Mais ils s’inspirent manifestement du concept de Villa Family pour créer Âges et vie.

Toiture à reprendre et malfaçons

S’adressant aux parlementaires sur un ton humble, la directrice générale de Korian ne peut retenir un sourire de contentement en déclarant ouvrir « une colocation Âges et vie par semaine ». Ce 30 mars 2022, Sophie Boissard est auditionnée par le Sénat dans le cadre de la mission d’information sur le contrôle des Ehpad suite à la sortie de l’enquête Les Fossoyeurs sur le concurrent de Korian, Orpea. Jusqu’alors, une poignée de nouveaux bâtiments sortaient de terre chaque année ; ils seront désormais plusieurs dizaines par an. Pour financer le développement de sa nouvelle filiale, Korian a obtenu en décembre 2020 un prêt de 55 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement. Une première société foncière, puis une deuxième, ont été créées avec la Banque des territoires et le Crédit agricole assurances et 400 premiers millions d’euros investis. Korian doit viser un succès massif afin de convaincre ces partenaires de l’importance de la société d’habitat partagé dans son portefeuille.

Lorsque la multinationale rachète l’entreprise bisontine fin 2017, il s’agit pour elle d’étendre son offre sur le marché du grand âge. Dans la foulée, un mail est envoyé à quelque 7 000 maires de communes rurales et périurbaines. Des commerciaux partent à la conquête des coins les plus reculés séduire des édiles comme Yann Bihouée. Les fondateurs auraient pu s’inquiéter d’une accélération aussi effrénée.

Mais il est très courant dans le secteur de signer des clauses d’earn out – ou « complément de prix » – lors d’un rachat. Le principe : prévoir pour les vendeurs, à leur départ de l’entreprise, une rémunération fonction de la croissance de la société. Lors d’une interview réalisée au cours du tournage du documentaire Hold-up sur les vieux (à voir sur Arte mardi 14 mai à 20 h 55, et en replay sur arte.tv jusqu’au 13 décembre), Simon Vouillot reconnaît avoir « toujours indexé, [lui et les fondateurs], [leur] rémunération sur le fait que l’entreprise se porte bien et quelle se développe ». Sollicités plus tard par XXI sur les conditions précises du rachat par Korian pour leur rémunération, Simon Vouillot et Nicolas Perrette ont indiqué que cette information était « confidentielle » ; Thierry Morel n’a pas donné suite.

Face à l’objectif de croissance de l’entreprise, peu importe si, une fois les constructions livrées, la toiture est à reprendre comme à Marmagne (Saône-et-Loire), si le chauffage ne fonctionne pas en plein hiver comme à Métabief (Doubs) ou s’il faut déménager les résidents dans la maison voisine en raison de malfaçons dans les douches comme à Cléré-les-Pins (Indre-et-Loire), ainsi que notre enquête a permis de l’établir.

Le coup de l’agrément, je ne l’ai pas vu venir. À aucun moment, on ne m’en a parlé.

Yann Bihouée, maire de Saint-Sylvestre-sur-Lot

À Saint-Sylvestre-sur-Lot ce n’est pas le bâti qui pose problème, c’est une information qui manque au maire. Pendant un an et demi, Yann Bihouée a attendu désespérément que la colocation ouvre ses portes. Agacé de n’avoir aucune nouvelle, et alerté par les questions de XXI, il harcèle Âges et vie au téléphone jusqu’à découvrir en décembre dernier que l’ouverture est tributaire d’une autorisation du département. Autorisation qu’Âges et vie n’a pas obtenue. L’édile l’avoue, penaud : « Le coup de l’agrément, je ne l’ai pas vu venir. À aucun moment, on ne m’en a parlé. »

Cet agrément concerne l’activité du service d’aide à domicile (Saad) qu’Âges et vie prévoit de créer dans chaque colocation. La filiale de Korian vend à ses clients une formule « all inclusive » : le logement, les repas et les services à la personne. Son modèle économique repose sur le fait d’employer elle-même les salariés travaillant auprès des personnes âgées, ce qui lui permet d’avoir la main sur la facturation de ces prestations. Or en faisant concurrence aux services d’aides à domicile existants, souvent fragiles financièrement – en débauchant leur personnel notamment –, l’existence de Saad supplémentaires peut mettre à mal l’équilibre d’un territoire en termes d’offre médico-sociale. D’où le refus, parfois, de l’autorisation.

En août 2021, Simon Vouillot s’est ainsi entretenu en visioconférence avec Véronique Cadudal, la vice-présidente du département des Côtes-d’Armor, chargée de l’autonomie. Cette dernière l’invitait à travailler avec les Saad existants, en nombre suffisant, estimait-elle. Cette solution n’a pas intéressé le dirigeant. Deux mois plus tôt, le département du Pas-de-Calais avait fait une proposition similaire, recevant le même accueil de la part d’Âges et vie.

XXI a échangé avec plus de 70 élus approchés par Âges et vie dans toute la France :  jusqu’à très récemment, ils n’étaient dans leur immense majorité pas informés en amont qu’une autorisation départementale pour les Saad était nécessaire. Au contraire, sur son site internet, dans la rubrique « élus locaux », l’entreprise affirmait encore en septembre 2021 que le montage du projet s’effectuait « sans autorisations spécifiques ».

Or l’agrément du département est loin d’être une formalité. Mais l’énoncer explicitement aux maires en rebuterait plus d’un. Au-delà d’un déficit d’information auprès des édiles, Âges et vie est allé plus loin encore, jusqu’à construire des colocations sans en informer les présidents de départements, les mettant devant le fait accompli. Certains n’ont pas du tout apprécié la manœuvre.

Chapitre 2

La stratégie : jusqu’au passage en force

Chapitre 2 La stratégie : jusqu’au passage en force

Coup de théâtre dans l’affaire des autorisations : le département de Saône-et-Loire publie le 1er juin 2022 un communiqué exigeant qu’Âges et vie cesse immédiatement son activité de Service d’aide à domicile (Saad) dans deux colocations, à Châtenoy-en-Bresse et Écuisses. Quatre mois auparavant, l’entreprise avait ouvert ces lieux sans l’agrément. Ça n’est pas sans conséquence pour les personnes âgées qui y sont logées : elles ne peuvent pas toucher l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), l’aide financière du département pour les services à la personne, qui peut représenter plusieurs centaines d’euros chaque mois.

Simon Vouillot, chargé des relations avec les départements, a déjà travaillé dans le domaine de la prise en charge des personnes âgées, en cabinet ministériel. Il ne peut ignorer que cette autorisation se demande plusieurs mois au moins avant l’ouverture.

Pourtant, lors de l’interview réalisée au cours du tournage du documentaire Hold-up sur les vieux (à voir sur Arte mardi 14 mai à 20 h 55, et en replay sur arte.tv jusqu’au 13 décembre), le fondateur de la société, visiblement mal à l’aise, joue au candide : « Nous avions trois colocations qui fonctionnaient [dans ce département, ndlr], nous avions déposé le dossier [de demande d’agrément, ndlr] pour la quatrième et la cinquième colocation qui étaient nécessairement identiques […]. J’ai fait l’erreur d’analyse de comprendre que l’autorisation allait arriver. »

« C’est la faute de Riboulet »

En Saône-et-Loire, le président du département André Accary (LR) n’a pas la même lecture des événements. « J’ai découvert dans la presse que les établissements de Châtenoy-en-Bresse et Écuisses ouvraient », affirme-t-il dans son bureau de l’hôtel du département. Lorsque cet ancien propriétaire d’un laboratoire pharmaceutique se rend compte qu’Âges et vie est passée outre son accord, « la colère [l’]a submergé » : « La loi n’avait pas été respectée et ces résidents se retrouvaient en grande difficulté financière […] On les a trompés eux aussi. Mes services se sont alors retournés vers ceux d’Âges et vie et nous avons été très mal accueillis. En gros, le département n’avait qu'à signer, et puis c’est tout. »

Une situation « exceptionnelle dans l’histoire d’Âges et vie », estime Simon Vouillot lors de notre entretien pour Arte : ce jour-là, il assure que c’est le seul endroit où la société a ouvert sans autorisation. Mais la suite de notre investigation révèle qu’au moins deux autres colocations ont vu le jour sans agrément, l’une dans les Vosges et l’autre dans l’Allier. Interrogée, Âges et vie reconnaît « après recherche suite à [n]otre mail », une « ouverture anticipée », « avec l’accord de principe du département pour avancer ».

Un autre homme s’est senti « floué » et a juré qu’on ne l’y « reprendrait plus ». Ce jour de novembre 2023, le président du département de l’Allier, Claude Riboulet, répond à nos questions par téléphone. Son ton est encore véhément trois ans après sa dernière rencontre avec Simon Vouillot : « Une fois que tout est signé avec les communes, il affirme aux maires que, si ça coince, “c’est de la faute de Riboulet qui ne veut pas donner l’autorisation !”. »

Dans ce département voisin de la Saône-et-Loire, trois colocations étaient déjà édifiées à ce moment-là. Claude Riboulet accorde « contraint et forcé » l’agrément pour leurs trois Services d’aides à domicile, « afin de ne pas mettre les résidents en difficulté ». « J’ai dit ensuite à Simon Vouillot : “vous m’avez mis au pied du mur trois fois, en prenant les maires en otage et ensuite en faisant pression sur moi. Vous n’aurez pas un site de plus” », s’emporte le président d’une voix exaspérée.      

Techniques commerciales agressives

À Saint-Sylvestre-sur-Lot, le maire ignore que le département dont dépend sa commune connaît une situation comparable. Les services du Lot-et-Garonne affirment en effet à XXI avoir été « mis devant le fait accompli » pour deux colocations, celles de Lévignac-de-Guyenne et de Castillonnès. Ils ont finalement autorisé leur Service d’aide à domicile (Saad), mais à une condition : qu’Âges et vie s’engage à les prévenir avant tout nouveau projet. Or la filiale de Clariane n’a pas tenu parole et construit la maison de Saint-Sylvestre sans les en informer au préalable. Résultat : Âges et vie s’est vu refuser l’autorisation du Saad de cette colocation, en avril 2023. Et depuis lors, la société n’a pas estimé utile de mettre au courant Yann Bihouée.

Dans l’Allier, Claude Riboulet avertit dans la foulée toutes les communes de son territoire. Il n’est pas le seul : au moins cinq autres responsables départementaux envoient un courrier à l’ensemble de leurs maires pour les mettre en garde contre les méthodes d’Âges et vie. C’est le cas du département des Côtes d’Armor, qui, dans une lettre de mars 2022, s’étonne que « la presse se fa[sse] régulièrement l’écho de nouveaux projets locaux », et avertit les élus qu’il « ne souhaite pas aller plus loin, compte tenu notamment du coût élevé du reste à charge pour les familles ».

Ces techniques commerciales agressives et ces passages en force ne sont pas le seul motif d’inquiétude. Des alertes de familles et de salariés parviennent jusqu’aux bureaux feutrés des services de l’autonomie.

« Des piluliers tombés ou perdus »

En Saône-et-Loire justement, les services d’André Accary sont alertés en mai 2022 par la famille d’une résidente de Châtenoy-en-Bresse, l’une des deux colocations pour lesquelles Âges et vie est passée en force. Elle décrit dans son mail un « manque considérable de personnel », un ancien cuisinier assurant les toilettes sans avoir reçu de formation, des « changes et douches pas faits » et des superpositions de protections le soir pour éviter que la personne âgée ne sonne la nuit, une facturation « ne correspondant pas à la publicité », avec des montants « de 4 000 à 7 000 euros par mois », des repas loin du fait maison vanté par les prospectus, « uniquement des surgelés et aliments de Netto [supermarché discount, ndlr], des gratins de restes, des portions pas équilibrées (3 fromages pour 7 résidents) ».

La famille s’interroge sur les conditions d’hygiène : « Il était fréquent de venir dans l’après-midi et de voir les restes du repas du midi sur la plaque de cuisson ou à l’air libre. » Elle dénonce enfin une autre défaillance pouvant avoir de graves conséquences : « de gros problèmes dans la distribution des médicaments », « des piluliers tombés, perdus », « des comprimés jamais distribués ».

Un mois, plus tard, en juin 2022, le département du Morbihan est alerté justement au sujet d’un événement indésirable grave (EIG) – un dysfonctionnement majeur, menaçant la santé ou la sécurité d’un résident. Un antidépresseur avait été donné par erreur à une résidente de 89 ans de la colocation de Malansac, la plongeant dans un état de semi-coma pendant deux jours. L’année suivante, en août 2023, c’est au tour du département de l’Isère d’être informé d’un EIG : une résidente de 91 ans de la colocation de Chirens est restée pendant près de deux heures sur les toilettes, oubliée par les aides à domicile.

D’autres témoignages corroborent le manque de personnel et l’absence de formation de nombreuses recrues. Denise Sestier a ainsi tenu un journal de bord de ses années passées dans la colocation de Lure (Haute-Saône) avant de décider de reprendre un appartement, seule, dans un petit village du Jura. Elle y raconte l’intérimaire débarquant à midi pour préparer seule le déjeuner de quatorze personnes, les jeunes filles novices ne sachant pas manipuler le lit verticalisé pour lever des personnes âgées dépendantes, etc. « Quand ça se produit une fois, puis deux fois, puis trois fois, puis quatre fois, on se dit “Où est-ce quon va ? Pourquoi je suis venue à Âges et vie ? Je ne pouvais plus supporter cette ambiance de vie, ça me rendait malade, j’en dormais plus la nuit. Les derniers temps, je n’avais qu’une envie : m’enfuir de là ! » Ce que dénonce la vieille dame de 98 ans nous a été confirmé par la trentaine de familles, mais aussi la vingtaine de salariés, avec qui nous nous sommes entretenus. Âges et vie réfute ce manque de formation, affirmant que leurs aides à domicile sont expérimentées « pour 80 % d’entre elles » et que « pour les 20 % restant, les personnes sont intégrées dans un processus de formation d’adaptation à l’emploi » et « accompagnées dans leur prise de poste par la maîtresse de maison ».

Sonnettes nocturnes payantes

Pour le personnel, attiré par la promesse alléchante d’un temps plein et d’un lieu unique de travail, la désillusion vient vite. En effet, les employés, en sous-effectif constant, prennent rapidement la mesure de la mission qui leur incombe : aider au lever, à la toilette, l’habillage, le coucher, faire le nettoyage et le repassage du linge, le ménage, les courses, gérer du budget, confectionner des repas, concevoir les animations… Sans compter les astreintes de nuit et, parfois, les journées de vingt-quatre heures d’affilée lorsqu’une collègue manque à l’appel le lendemain matin. Contactée par XXI, la société Âges et vie répond que « le cadre réglementaire est respecté avec un repos légal avant ou après une astreinte », mais souligne que, « comme dans tout métier humain, lorsqu’un salarié fait défaut sans délai de prévenance, la continuité d’activité agit en interrogeant les salariés de l’équipe sur leur disponibilité, puis l’auxiliaire de vie multi-sites du secteur, puis des salariés en CDD et, en dernier recours, l’intérim ».

En entretien en juin 2023 pour Arte, Simon Vouillot affirme encore : « Le sentiment que j’ai, c’est que globalement la satisfaction des personnes qui sont chez nous et des familles est très forte. […] Je pense qu’on n’aurait pas connu l’histoire qu’on a connue, avec le développement qu’on a, si les gens n’étaient pas au final satisfaits de l’accompagnement qu’on apporte. » Et même des tarifs pratiqués ? Âges et vie communique sur un seul chiffre, le reste à charge une fois les aides d’État déduites : il serait de 1 850 euros mensuels en moyenne actuellement.

Mais les proches des résidents, comme à Châtenoy-en-Bresse par exemple, découvrent ensuite de nombreux coûts supplémentaires : 900 euros de « frais de souscription et d’installation », 88 euros par mois pour un animal de compagnie, 124 euros par mois de petit déjeuner et d’entretien du linge… Une autre facturation fait bondir les clients : les sonnettes nocturnes. Les colocataires ont droit à quatre appels gratuits par mois, ensuite il faut payer. C’est mentionné dans le contrat, à la rubrique « frais divers », mais ce n’est pas indiqué aux visiteurs durant les portes ouvertes.

Face caméra, lors de l’interview qu’il nous accorde pour Arte, Simon Vouillot assume ce système de facturation : « Si cétait entre guillemets “gratuit”, le risque serait que la personne âgée considère ça comme, entre guillemets, […] un “room service”. Laspect financier n’est pas tabou chez Âges et vie. Nous, on peut dire, les yeux dans les yeux à la famille, oui effectivement, au-delà de quatre appels par mois, on va vous facturer lappel. Pourquoi ? Parce que la salariée qui va se lever […] bascule en temps de travail effectif et elle est payée. La personne âgée […] cest une personne normale, elle se responsabilise. » En septembre 2023, la facturation de ces sonnettes a été supprimée. Âges et vie affirme que ce n’est aucunement lié à notre enquête et que cette décision a été prise « en prolongement des discussions initiées avec les familles et les départements ». En revanche, un forfait d’astreinte nocturne, le même pour tous les résidents, a été instauré.

Ce qui m’énerve, c’est qu’on ne nous tienne pas au courant. Si ça continue, je serai morte quand ça ouvrira !

Béatrix Colas, inscrite depuis janvier 2023 pour la colocation de Saint-Sylvestre-sur-Lot

En ce mois de février 2024, à Saint-Sylvestre-sur-Lot, Yann Bihouée prie pour que sa colocation puisse enfin ouvrir. « Je le vis très mal, reconnaît-il. C’était un des engagements de mon mandat. Il y a de la déception au sein de la population. » Dans le salon d’Anna, elle et sa voisine s’impatientent et se disent à bout. Béatrix s’exclame : « Ce qui m’énerve, c’est qu’on ne nous tienne pas au courant, alors qu’ils nous ont fait remplir un dossier d’inscription. Si ça continue, je serai morte quand ça ouvrira ! » 

Se voyant déjà dans leur nouvelle demeure, Béatrix avait commencé à ranger et trier ses affaires. Anna avait, elle, entrepris des démarches pour vendre sa maison. Le notaire a convoqué les parties puis annulé à trois reprises. À 93 ans, faute de pouvoir compter sur la structure, la vieille dame s’est entourée de personnel et désire désormais rester chez elle, aussi longtemps que possible. « De toute façon, moi je ne marche plus avec eux », lance-t-elle d’un ton bravache à sa compagne d’infortune. « Vous ne voulez plus y aller ? Je suis un peu découragée moi aussi », avoue Béatrix.

Tandis que certaines collectivités découvraient, effarées, les projets qui se multipliaient sur leur territoire à leur insu, Simon Vouillot et ses équipes n’ont cessé de chercher des solutions pour éteindre la colère qui gronde et des appuis pour faire changer d’avis les plus réticents. Un véritable lobbying qui s’est avéré souvent efficace.

Chapitre 3

L’alliance : un lobbying bien rôdé

Chapitre 3 L’alliance : un lobbying bien rôdé

Alors qu’un mois plus tôt il a sommé deux colocations Âges et vie de cesser leur activité de services d’aides à domicile, André Accary, le président de Saône-et-Loire, reçoit le 18 juillet 2022 un étrange courrier. La présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté y fait l’éloge de l’entreprise : « Je connais bien les fondateurs. […] Je peux témoigner que ce sont des personnes de confiance, ainsi que de la qualité de leur solution, utile socialement et économe des deniers publics ». Et Marie-Guite Dufay d’espérer que « la situation pourra se régulariser prochainement ».

Ancien membre de cabinet ministériel, ancien conseiller municipal de Besançon, Simon Vouillot, dont le père fut député socialiste, peut compter sur son réseau politique, notamment sur le soutien de cette dirigeante – socialiste elle aussi – de la région Bourgogne-Franche-Comté. Il la côtoie depuis près de trente ans et s’appuie sur elle pour arrondir les angles avec les départements réticents.

L’Allier, le Calvados, la Dordogne, la Gironde, les Côtes-d’Armor, le Lot, le Lot-et-Garonne, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Atlantiques, le Rhône…  Sollicitée sur ce point par XXI, Âges et vie n’a pas donné suite concernant cette liste de départements, qui selon nos informations, bloquent les agréments. Cette obstruction coûte cher à Âges et Vie et sa maison-mère, Korian, devenu Clariane. Comment les faire changer d’avis ? C’est Simon Vouillot, responsable des relations avec les départements, qui est aux manettes. Depuis le rachat fin 2017, le groupe laisse les fondateurs gérer la société, et ces derniers se gardent bien d’avouer à la multinationale qu’ils sont passés en force dans de nombreux territoires.  

Un rapport et un amendement sans suite

Outre sa présidente de région, l’homme se fait aussi aider par un lobbyiste, Luc Broussy, qu’il connaît également de longue date. Ancien conseiller aux personnes âgées de François Hollande pendant sa campagne présidentielle de 2012, Broussy est un ancien délégué général du syndicat national des maisons de retraite privées et a été directeur pendant près de vingt-cinq ans d’une société de conseil.

C’est sous cette casquette-là, comme l’atteste un courrier du département, que ce socialiste assiste Simon Vouillot, le 14 octobre 2020, lors d’un rendez-vous avec le Lot-et-Garonne censé convaincre le département d’attribuer l’agrément à trois colocations. Puis, en mai 2021, Luc Broussy adresse un courrier à la Gironde, qui a constamment refusé toute autorisation à l’entreprise, lui demandant un entretien « pour le convaincre de la pertinence de ce modèle ».

Le même mois, dans le rapport interministériel intitulé « Nous vieillirons ensemble », dont la rédaction lui a été confiée, ce spécialiste du grand âge y préconise d’« assouplir les conditions d’autorisation des Saad dédiés à la délivrance de services dans un habitat alternatif », ce qui permettrait à Âges et vie de ne plus voir son développement bloqué par certains départements. C’est aussi ce que réclamera un amendement soumis en vain à l’Assemblée nationale le 17 octobre 2022 par le député du Doubs, Éric Alauzet (alors membre de Territoires de progrès), dont Simon Vouillot était le colistier aux élections municipales de 2020 sous l’étiquette LREM.

Des argumentaires dans les boîtes mail

La conviction des maires se révèle être in fine le meilleur allié d’Âges et vie, lorsqu’ils sont persuadés que ce dispositif d’habitat partagé répond aux besoins de leurs aînés. Âges et vie a rapidement senti le pouvoir de cette « France du terrain », comme l’appelle Simon Vouillot dans un podcast d’Immoweek de juillet 2022. Les maires sont systématiquement interviewés lors de l’inauguration d’une colocation pour les vidéos publicitaires de l’entreprise.

Dans les départements récalcitrants, Simon Vouillot mise sur eux pour défendre son modèle. Il suffit de les mobiliser discrètement pour déclencher un bras de fer… Pour cela, une femme œuvre à ses côtés : Karine Pirouelle, responsable des relations avec les collectivités, envoie des « argumentaires » aux élus, comme cette note de trois pages, adressée à dix édiles de Côtes d’Armor en février dernier, destinée à « argumenter [leur] discours lors de [leur] prochain rendez-vous avec le président ».

L’Indre-et-Loire est à première vue le département le plus difficile à retourner. Dix projets ont été lancés sans l’aval de ses services. Le 16 mars 2023, son président, Jean-Gérard Paumier (LR), est allé jusqu’à adresser un courrier au ministère chargé de l’autonomie, s’inquiétant d’une « offre qui soulève de nombreuses interrogations et risques juridiques pouvant remettre en cause la sécurité physique et le bien-être des personnes accueillies au sein de ces colocations », et appelant de ses vœux à une prise de position du ministère.

Par mails et visioconférences, Karine Pirouelle et son équipe informent les maires des rendez-vous d’Âges et vie avec le président de ce département ou encore de la venue de ce dernier dans l’une de leurs colocations, et leur font ensuite le compte rendu de ces rencontres, au mépris de toute confidentialité.

Parfois, les digues craquent

La responsable des relations institutionnelles repère vite l’homme fort qui pourrait tenir tête au président d’Indre-et-Loire : le maire de Ligueil, Michel Guignaudeau. À 78 ans, ce proviseur de lycée à la retraite est un vieux routier de la politique et sait actionner ses réseaux. Il a accepté de dévoiler à XXI les preuves du lobbying intense qu’il a effectué main dans la main avec Âges et vie. Dans l’épais dossier posé sur la table de réunion de son bureau, des courriers adressés à un député, un sénateur, à l’association des maires ruraux, à une vice-présidente du département et à plusieurs de ses conseillers. Grand homme à la stature imposante, le maire de Ligueil admet volontiers avoir fait « la liaison entre le président [du département, ndlr] et Âges et vie ».

Pressés de toutes parts par des maires comme Michel Guignaudeau, de nombreux départements semblent pris entre le marteau et l’enclume. Et parfois, les digues craquent. Comme en Saône-et-Loire, où la préfecture, alertée par le département, a pourtant saisi le procureur de la République pour suspicions de maltraitance et pratiques trompeuses. Depuis, le préfet a changé. Sollicité par XXI, le tribunal de Besançon, vers lequel la procédure a été dirigée, n’a par ailleurs pas répondu. Face à cette inertie et craignant une procédure judiciaire de la part d’Âges et vie, André Accary, le président de Saône-et-Loire, a finalement accordé en 2023 un agrément aux Saad de six colocations supplémentaires.

Jean-Gérard Paumier n’est plus inquiet

Qu’en est-il du président de l’Indre-et-Loire qui avait jugé utile d’alerter le gouvernement ? Jean-Gérard Paumier n’est apparemment plus inquiet « pour la sécurité physique et le bien-être » des personnes accueillies dans ces colocations. Depuis son courrier, il a été élu sénateur en septembre 2023. Juste avant de démissionner de la présidence du département, celui qui était l’un des plus farouches pourfendeurs d’Âges et vie a signé un arrêté autorisant les Saad de quatre colocations de la filiale de Clariane, dont celle de Ligueil.

Répondant à la sollicitation de XXI, il justifie par mail l’évolution de sa position, la reliant « aux évolutions dÂges et vie, que la position ferme du département dans ce dossier a conduit, avec la nouvelle gouvernance de cette structure, à aller ensuite dans le sens voulu par le département dans lintérêt des résidents ». Et il ajoute : « Le ministère de lautonomie na pas à ce jour répondu à mon courrier dalerte remontant au début de ce dossier. »

Un départ « en bonne intelligence »

Le 6 décembre dernier, le nouveau siège d’Âges et vie situé à Chalezeule, à l’est de Besançon, est inauguré. L’entreprise, en pleine croissance, accueille désormais dans un grand bâtiment de la taille d’un entrepôt 130 collaborateurs, tandis que dix-neuf employés supplémentaires devraient les rejoindre prochainement. Mais ce jour-là, trois hommes manquent à l’appel : les fondateurs.

Six mois auparavant, Simon Vouillot a annoncé officiellement son départ sur le réseau LinkedIn. Sophie Boissard, la directrice générale de Korian, poste alors ce message : « Cher Simon, bravo et merci pour tout ce que vous avez accompli. Vous avez été des précurseurs et des bâtisseurs. Âges et vie est une formidable aventure. Vous pouvez compter sur nous pour poursuivre dans la voie que vous avez ouverte il y a quinze ans, avec le même enthousiasme et le même attachement à notre mission. »

Interrogé par XXI, le groupe affirme que « leur départ décidé en bonne intelligence avec les instances dirigeantes du groupe Clariane, s’est fait conformément à l’accord qui liait les fondateurs au groupe ». Mais un mail de ce même groupe adressé à un département le 2 mai 2024 dit exactement le contraire et confirme nos informations selon lesquelles les fondateurs ont été enjoints de quitter leurs fonctions. Il y est écrit que « Clariane a décidé de se séparer en mai 2023 des trois fondateurs dont l’activité ne correspondait plus ni à ses directives ni à ses valeurs ».

Un château et un golf pour les fondateurs

Alors que l’un s’est offert un château du XVIIIe siècle et qu’un autre a jeté son dévolu sur un golf, les trois fondateurs laissent derrière eux un champ miné. Des dizaines de communes ont actuellement lancé des projets sans l’agrément départemental. D’autres ont dû tout stopper net alors qu’elles avaient réservé un terrain, signé un permis de construire, réalisé des travaux d’aménagement. Combien subissent à l’heure actuelle le même sort que Saint-Sylvestre-sur-Lot, à savoir une colocation achevée sur leur commune mais aux volets obstinément clos, faute d’agrément ? Âges et vie n’a pas répondu sur ce point. Selon notre décompte, au moins neuf collectivités se trouvent dans ce cas. Enfin, les publicités et la facturation faites aux familles ont entraîné une enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Quant au maire de Saint-Sylvestre-sur-Lot, il a fini par être rappelé par la nouvelle directrice générale d’Âges et vie en personne, Catherine Jeantet Hêtre : « Elle étudierait une autre formule, un système dérogatoire. Ce sont des choses que je ne maîtrise pas du tout. Je pars du principe qu’ils vont mettre tout en œuvre pour que la colocation ouvre. Parce que, si ça fait tache d’huile, si le groupe Âges et vie commence à avoir mauvaise réputation, les gens ne vont plus vouloir s’y rendre ! »

Selon des sources concordantes, Âges et vie tenterait de trouver des solutions pour faire fonctionner ses colocations dans les départements où l’autorisation n’a pas été obtenue : en sollicitant une extension d’autorisations déjà existantes, ou en demandant le changement de statut de leurs colocations pour en faire des « résidences services seniors », auxquelles l’agrément est accordé automatiquement dès lors que le cahier des charges est respecté. Plusieurs rencontres auraient eu lieu entre Âges et vie et le ministère des solidarités, qui aurait donné son aval. Sollicité, ce dernier nous a renvoyé vers la ministre déléguée chargée des personnes âgées, qui n’a pas donné suite.

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