« Le secteur immobilier français est très vulnérable face au risque de blanchiment » 

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« Le secteur immobilier français est très vulnérable face au risque de blanchiment » 
Secrétaire national du syndicat Solidaires finances publiques, Damien Robinet revient sur le manque de moyens de son service pour faire la chasse aux transactions immobilières douteuses en France.

Quel rôle joue la Direction générale des finances publiques (DGFiP) dans la traque des biens d’oligarques en France ?

La DGFiP ne procède pas à des contrôles de sa propre initiative ni à des recherches « spontanées ». Les personnels en charge de missions d’investigation, notamment dans la direction spécialisée Service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) – bientôt remplacée par l’Office national anti-fraude (ONAF) –, travaillent à partir de listes préexistantes de personnes physiques et morales désignées dans les dispositions de gel. Ainsi, ils peuvent être amenés à identifier, sur des zones géographiques précises, différentes possessions comme des yachts, ou des villas somptuaires, notamment sur la Côte d’Azur. Des personnels des directions régionales et départementales des finances publiques peuvent leur faire remonter des informations sur les biens qui pourraient appartenir aux personnes figurant sur ces listes.

Suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, Bercy a demandé à cette unité spécialisée d’être particulièrement vigilante. La même requête a été faite aux services de publicité foncière, concernant les opérations immobilières qui impliqueraient une personne, physique ou morale, citée dans les dispositions de gel. Concrètement, il existe 1 706 personnes figurant sur une liste établie par l’Union européenne. Certaines interdictions frappent ces hommes et ces femmes, notamment le gel des avoirs. Il en va de même pour 419 entreprises russes.

Quelle est la procédure, une fois que vous identifiez un bien obtenu de manière suspecte, pour que des sanctions soient prises ?

Lorsque le bien est gelé, la personne physique ou morale n’en dispose plus et ne peut plus en tirer les fruits. Typiquement, elle ne pourrait pas percevoir les loyers d’un bien immobilier. Elle ne pourrait pas non plus revendre une voiture ou un bateau. Néanmoins, le gel ne signifie pas la saisie des biens [qui implique des suites judiciaires, NDLR].

Comment se passent vos recherches ?

Même si, dans la communication officielle, Bercy a fait de cette mission une priorité, les effectifs restent insuffisants. Les collègues dans les services communs sont déjà en sous-effectif et cette mission vient s’ajouter à des tâches déjà bien conséquentes, notamment l’enregistrement et la publication des actes et la tenue du fichier immobilier. La DGFiP est l’une des administrations systématiquement touchées lors des vagues de suppressions d’emplois dans la fonction publique, que ce soit sur le sujet qui nous intéresse, au contrôle fiscal ou dans les services de publicité foncière. La DGFiP compte aujourd’hui près de 94 000 agents, contre 130 000 lors de la fusion en 2008 de la Direction générale des impôts (ex-DGI) et de la Direction générale de la comptabilité publique (ex-DGCP).

Quels mécanismes vous permettent de détecter certains biens potentiellement mal acquis ?

Les services repèrent notamment les passeports dorés, les prête-noms, les sociétés écran ou la cession déguisée de biens immobiliers. Des mécanismes somme toute assez classiques. En revanche, il y a une spécificité française. L’ONG Transparency-France a en effet montré, dans un rapport de juillet 2023, à quel point l’identité des propriétaires de biens immobiliers en France pouvait être opaque. Cette analyse révèle l’extrême vulnérabilité du secteur face au risque de blanchiment d’argent.

Quels services vous épaulent dans ce domaine ?

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Tracfin a diffusé deux appels à vigilance auprès des professions assujetties à une obligation de déclaration de soupçon auprès d’elle (agents immobiliers, notaires, avocats, etc.), afin de prévenir les risques de contournement des mesures de gel des avoirs, ainsi que les fuites de capitaux susceptibles de financer les zones de combats. Les douanes ont également joué un rôle important dès le déclenchement du conflit. Elles ont procédé à des mesures de gel, telles que décrites plus haut, notamment s’agissant de yachts, bateaux de commerce et aéronefs. Mais ce sont à chaque fois des petites équipes, qui doivent aussi faire face à un contexte où le principe dominant est la libéralisation et la libre circulation. L’État est confronté à des injonctions contraires et se retrouve à imposer des obligations de vigilance, qui sont parfois clairement des mesures d’affichage, voire complètement hors-sol.

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