L’hypothèse de l’homme de paille

L’hypothèse de l’homme de paille
Les journalistes Clément Le Foll et Alexander Abdelilah, auteurs de notre récit « L’ombre de Gazprom sur la Riviera » racontent une année de travail, entre registres du commerce et comptes Instagram des Karapetyan, sur les traces du propriétaire de la Villa Maria Irina.

C’est une enquête à deux têtes et quatre mains. Pas la première pour nous qui avons déjà travaillé ensemble sur les pratiques des sociétés de recouvrement ou les coulisses de l’exploitation des métaux rares, mais sûrement la plus fastidieuse. Plus d’un an sur les traces de Samvel Karapetyan, à partir du moment où nous l’avons identifié comme étant le propriétaire de la Villa Maria Irina en février 2023. Des semaines à consulter des documents de registres du commerce, les rapports annuels de Gazprom ou les réseaux sociaux de la famille Karapetyan. Des découvertes et des doutes, que nous partageons entre nous à travers d’innombrables messages sur Signal, de liens d’articles envoyés par Twitter ou autour d’un café.

Au fil de ces recherches, il devient clair que Samvel Karapetyan et sa famille se rendent régulièrement sur la Côte d’Azur. Mais aucune photo ne témoigne de leur passage dans la villa du cap Martin. Samvel Karapetyan ne serait-il qu’un homme de paille dont le rôle serait de détenir le bien pour que son propriétaire réel, Gazprom, échappe aux sanctions européennes ? L’enquête sur place nous permet d’obtenir des éléments sur les liens entre Samvel Karapetyan et Gazprom, grâce notamment à l’agente immobilière chargée de la location des lieux.

« Vous devriez en discuter avec Untel »

Notre recherche s’élargit alors. Il nous faut savoir si la justice française s’est déjà intéressée à la Villa Maria Irina et à son propriétaire officiel. Nous contactons des magistrats spécialisés dans la lutte contre le blanchiment ainsi que d’autres services de l’État potentiellement impliqués. À chaque rendez-vous, nous posons les mêmes questions : « Connaissez-vous cette villa ? Avez-vous entendu parler d’une potentielle enquête judiciaire à son sujet ? Est-ce le type de villa qui pourrait être dans le viseur de vos services ? » Nos interlocuteurs se montrent généralement gênés. « Vous devriez en discuter avec Untel », nous répond-on au mieux. Ce qui nous interroge.

La réponse, nous l’aurons tout au bout de notre enquête, quand le parquet de Paris nous indiquera qu’une procédure judiciaire portant sur des soupçons de « blanchiment aggravé » a bel et bien été ouverte concernant la Villa Maria Irina en juillet 2023. Cette information nous oblige à un retour en arrière. Où en étions-nous dans notre enquête en juillet 2023 ? Nous analysions les documents d’entreprises, mais n’avions pas encore interrogé les services de l’État et magistrats. Ces personnes étaient-elles au courant de l’enquête ? Nous l’avaient-elles dissimulée ? Sommes-nous passés à côté d’une personne clé du dossier ?

Une chose est sûre : l’enquête des institutions françaises a tardé, si l’on se réfère à la célérité avec laquelle elle a traité les biens d’autres oligarques, qui ont rapidement été gelés. Samvel Karapetyan est-il protégé ? En échange de quoi ? Nous nous sommes pris au jeu…

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