« Même moche, je l’aimerais, mon chêne »

Propos recueillis par Catherine de Coppet Illustré par Léa Taillefert
Édition de novembre 2023
Voilà plus de quarante ans que Jean-François Manier a créé une maison d’édition dédiée à la poésie, dans un lieu perdu sur le plateau Vivarais-Lignon. Une aventure qui a bénéficié du compagnonnage, fidèle, d’un chêne persévérant. Témoignage.
Article à retrouver dans la revue XXI n°63, Les patronnes du monde d’après
4 minutes de lecture

Il est particulièrement beau à l’automne. Il devient très roux. Depuis la fenêtre de mon bureau qui donne sur sa canopée, je me délecte de la vue de ses feuilles. Et du bruit qu’elles font. À mille mètres d’altitude, il y a très régulièrement du vent sur notre plateau. Cette conjugaison, de légèreté des feuilles qui bruissent et de résistance des racines, me touche. Même s’il était moche, j’aimerais ce chêne du Canada, tellement je suis attaché à l’histoire qu’il porte, celle de mon implantation ici, dans ce hameau à quelques kilomètres du Chambon-sur-Lignon, entre Haute-Loire et Ardèche. Un pays rude, où les hivers peuvent durer six mois. J’y ai posé mes valises en 1978, avec Martine Mellinette, mon épouse à l’époque.

Apprentis typographes de 25 ans, nous avions comme projet fou de monter une maison d’édition de poésie contemporaine, en imprimant nos propres livres. Nous cherchions un lieu dans cette région, et nous l’avons trouvé grâce à Raymond Vincent, alors maire du Chambon, qui nous a parlé d’une ancienne école « dans la cambrousse », abandonnée, sans eau ni route goudronnée pour y accéder. Quand nous l’avons vue en haut d’une butte sortir du brouillard, immédiatement nous l’avons reconnue : notre maison. J’ai toujours la plaque de métal qui était accrochée au trousseau de clés, avec l’inscription « école de Cheyne ». Un nom d’arbre pour enraciner notre projet…

C’était une petite chose décharnée, le tronc était tout maigrelet !

Jean-François Manier, éditeur

La mairie, propriétaire, nous a proposé un arrangement, et nous nous sommes installés bon an mal an dans cette bâtisse, bordée d’un pré, d’une forêt de sapins, et devant laquelle poussaient un marronnier et un merisier. Ce dernier étant en fin de vie, on l’a fait abattre. À sa place, nous avons planté un chêne, à cause du nom du lieu – même s’il n’est pas attesté qu’il vient de là, l’espèce étant rare dans cette montagne. Je me souviens du jour où le pépiniériste nous l’a livré : c’était une petite chose décharnée, le tronc était tout maigrelet ! Il représentait un investissement, comme nos premières machines. À l’époque, c’était l’imprimerie courante qui nous faisait vivre – les gens allaient chez l’imprimeur comme ils allaient chez le boucher, qui pour un faire-part, qui pour un carton d’invitation – et nous bossions comme des dingues.

Au fil des années, le chêne est devenu l’arbre-totem de la maison d’édition, Cheyne éditeur, qui elle aussi a prospéré, puis des Lectures sous l’arbre, le festival littéraire que nous avons lancé il y a plus de trente ans et qui accueille désormais 6 000 personnes chaque année, et enfin du restaurant-librairie, L’Arbre vagabond, que j’ai ouvert avec mon fils cuisinier en 2014 après le déménagement de l’imprimerie. L’été, les gens s’abritent volontiers sous le chêne malgré ses racines qui ont soulevé la terre, les familles aiment allonger leur bébé à l’ombre à son pied. J’ai fini par écrire sur lui, dans un recueil de textes, Quatre arbres, illustrés par les fusains d’Alexandre Hollan, un artiste français de 90 ans, qui a passé sa vie à dessiner des canopées. J’y décris mon chêne comme mon grand frère, celui que je n’ai jamais eu dans la vie.

« Sous le chêne, je me sentais protégée »
Il se dressait, fier et majestueux, depuis des siècles au cœur de Silverton, en Angleterre. Jusqu’à ce jour fatal de janvier 2024.
« Les têtards du Dr Schmidt »
À Blaesheim, tout près de Strasbourg, le maire se bat pour la préservation des saules têtards.
Le dernier érable de Reykjavik
En Islande, les arbres sont tellement rares qu’ils sont synonymes d’étranger. L’écrivaine Auður Ava Ólafsdóttir témoigne.
« Le châtaignier sous lequel on parlait français »
Auprès de la ferme familiale, un arbre a abrité tous les secrets du paysan basque Beñat Negueloua.
« Touche pas à mon platane »
Marie-Claude n’imagine plus vivre sans son arbre préféré. Elle l’a même couché sur son testament.
Explorer le thème
Environnement
trois hommes s’abritent derrière une digue où s’écrasent d’immenses vagues
Juillet 2025
Atlantes modernes face au déluge du monde
Que faut-il faire pour qu’une simple image capte notre attention ? S’appuyer sur un mythe fondateur, répond le photojournaliste Asanka Brendon Ratnayake.
Coup d’œil  |  Juillet 2025 | Écosystèmes
façade du Collège de France dans une goutte de pétrole
Juin 2025
Pour 2 millions, le Collège de France perd le droit de critiquer Total
L’institution doit s’abstenir de tout propos susceptible de porter atteinte à l’image de la firme pétrolière, mécène de sa chaire Avenir Commun Durable.
À la source  |  Juin 2025 | Pouvoirs
un incendie au-dessus de la ville californienne de Paradise
Juin 2025
Paradise dans les flammes de l’enfer
Le photographe Maxime Riché nous donne à voir le mégafeu qui, en 2021, embrasait la Californie. Une image forte, saisie grâce à une pellicule particulière.
Coup d’œil  |  Juin 2025 | Écosystèmes
dessin d’un contrebandier avec une cagoule faite de plantes et de fleurs
Mai 2025
Corruption et braconnage chez les cartels du cactus
En Afrique du Sud, des gangs s’attaquent aux succulentes, ces plantes décoratives prisées dans le monde entier. Un trafic aussi lucratif que ravageur.
Enquête  |  Mai 2025 | Écosystèmes
jeune femme dans l’eau prenant un selfie
Avril 2025
Selfie à tout prix
Une jeune femme brandit son smartphone au cœur d’une inondation meurtrière. Moment apaisé ou défi narcissique à l’heure des catastrophes climatiques ?
Coup d’œil  |  Avril 2025 | Écosystèmes
Janvier 2025
Au Brésil, les enragés de la vache
Un steak sur quatre dans le monde est produit au Brésil. La photographe Carolina Arantes documente l’univers impitoyable des éleveurs.
Récit photo  |  Janvier 2025 | Écosystèmes
Janvier 2025
Palmiers désenchantés
Depuis plus d’un siècle, ils évoquent le soleil, les vacances… Et si les palmiers de Floride devenaient le symbole des dégâts naturels ?
Coup d’œil  |  Janvier 2025 | Écosystèmes
Décembre 2024
À la poursuite de l’hydrogène vert
De l’Espagne à la Mauritanie, le photographe Justin Jin a exploré les balbutiements d’une énergie renouvelable prometteuse. Une révolution ?
Récit photo  |  Décembre 2024 | Écosystèmes
Munni Devi, 28, stands as she cleans the mud from the entrance of her house after flood water recedes from a residential area that was flooded by the overflowing of the river Yamuna following heavy rains, in New Delhi, India, July 17, 2023. REUTERS/Adnan Abidi
Décembre 2024
Déesse du désastre
Pourquoi cette image de l’Indien Adnan Abidi rend-elle universelle le drame des mutations climatiques ?
Coup d’œil  |  Décembre 2024 | Écosystèmes
Novembre 2024
Science-fusion
Le regard de Christian Caujolle sur une spectaculaire photo de l'Espagnol Arturo Rodriguez.
Coup d’œil  |  Novembre 2024 | Écosystèmes