Il est 19 heures passées lorsque le bateau Izel Vor II accoste enfin, sous la pluie lorientaise. Ce mercredi 6 mars 2024, la pêche a été bonne au large de Belle-Île : 600 kg de merlus, 180 kg de soles, ainsi que de la cardine, de l’émissole, des roussettes. Mais pas de quoi pavaner pour David Le Quintrec, le patron de ce fileyeur de douze mètres : « Demain, RDV même heure : 1 heure du mat’ ! », lance-t-il à ses trois matelots. Le golfe de Gascogne vient tout juste de rouvrir, après un mois de fermeture pour la préservation des dauphins, et il faut rattraper le temps perdu. Pas le choix, dit-il en listant tous les maux qui l’accablent : l’inflation du prix du carburant, la réduction de ses quotas de pêche, la concurrence du poisson importé et des armateurs étrangers, sans compter ces éoliennes qui s’implanteront bientôt dans sa zone en mer.
Il n’est pas le seul à s’émouvoir. La liste de discussion qu’il a créée sur WhatsApp au printemps 2023, intitulée « Pêcheurs en colère », regroupe désormais près de 900 personnes, et le même nom y revient en gimmick. Comme ce 26 janvier 2024, où l’un d’entre eux résume l’esprit général : « La question [est] de savoir si le Comité national ainsi que son président monsieur Le Nézet nous dessert plutôt qu’autre chose. »
Quelques jours plus tôt, le même Olivier Le Nézet s’affiche au Salon de l’agriculture, jamais bien loin des aréopages ministériels. Ce mardi 27 février, entre deux stands, c’est à l’oreille de Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, qu’il susurre quelques mots, une main ferme vissée à son épaule. Affable et tout sourire, l’homme aux petites lunettes rectangulaires accepte immédiatement la demande d’interview de XXI, lui d’ordinaire plutôt discret dans les médias. Peut-on le rencontrer à Lorient, là où il aime répéter qu’il a grandi « au milieu des caisses jaune et bleu » de la criée de Keroman ? Le calendrier qu’il déroule sur l’un de ses téléphones portables laisse apparaître un premier créneau dans dix jours.
Entre deux coups de fil
Avant, il y a des réunions de « bureau », puis de « conseil », à Paris. Après, direction Dublin et Monaco. « J’ai une filière à sauver, moi ! », se justifie-t-il entre deux coups de fil de « Fabrice » – Loher, le maire de Lorient – ou de la délégation de « Carole » – Delga, la présidente de la région Occitanie, également présidente de l’association Régions de France –, qu’il file rejoindre, aussitôt le rendez-vous calé, dans les travées du Salon de l’agriculture.
C’est que l’homme connaît ses responsabilités, et n’aime rien moins que se montrer prêt à les assumer, manches retroussées, en tant que président du conseil du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins. Le CNPMEM, parfois décrit comme l’équivalent de « la FNSEA des pêcheurs », n’est pas pour autant un syndicat : c’est une organisation professionnelle de droit privé, à laquelle cotisent obligatoirement les 6 000 bateaux de pêche immatriculés en France, et qui est chargée de missions de service public, définies par le Code rural. « Une sorte de “para-administration” corporatiste, chargée de représenter les intérêts de la filière, résume un ancien fonctionnaire des Affaires maritimes. Concrètement, c’est là que s’établit la politique de gestion des pêches en France. » La mission ne suffit pourtant pas à remplir pleinement son agenda.
Président de la société d’économie mixte (SEM) qui gère le port de pêche de Lorient-Keroman, la première criée de France en valeur de ventes, Olivier Le Nézet est l’un des acteurs économiques les plus importants de la filière : l’homme est aussi vice-président de l’association interprofessionnelle France Filière Pêche, président d’ID Mer – un « centre d’innovation technologique dédié à la valorisation des produits de la mer » – ou encore membre du conseil d’administration de la fondation Open-C, chargée de promouvoir le développement de l’éolien en mer. À 54 ans, avec plus d’une vingtaine de mandats répartis aux endroits les plus stratégiques du secteur, l’ancien pêcheur a fini par s’assurer un statut d’incontournable : celui de patron tout-puissant de la pêche française. « Que l’on soit ministre ou pêcheur, tous les chemins mènent à lui, il est devenu le principal interlocuteur sur le sujet », résume Charles Josse, ancien journaliste à la rédaction de Ouest-France à Lorient.
C’est désormais une défiance tenace qui s’est installée entre la base et son principal représentant.
Au besoin, Le Nézet n’hésite d’ailleurs pas à rabrouer publiquement le ministre en question. En septembre 2023, lors des Assises de la mer à Nice, il quitte la salle au beau milieu du discours du secrétaire d’État à la mer, Hervé Berville, entraînant dans son sillage une centaine de professionnels. Aux micros qui se tendent, Le Nézet ne mâche pas ses mots, évoquant des « mensonges » et un « brouillard total d’amateurisme » pour dénoncer la fin annoncée – au 15 octobre – des aides au gasoil pour les pêcheurs. Contacté, Hervé Berville, encore en poste, n’a pas souhaité commenter, préférant saluer « quelqu’un qui connaît son sujet » et « se bat pour le défendre ».
Sur les quais de Lorient, David Le Quintrec n’est pas du même avis. Avec quelques camarades, le pêcheur de l’Izel Vor II a couché sa colère au feutre noir sur une banderole qu’il désigne du doigt au moment de refermer l’accès au ponton : « Merci monsieur le président multi-casquettes de nous avoir conduits à l’abattoir ! » À mesure que la filière s’enfonce dans la crise et que les pêcheurs multiplient les manifestations pour dénoncer « le ras-le-bol d’une profession en sursis » – comme ils le martelaient à Rennes le 22 mars 2023 –, tous les regards courroucés ont fini par se tourner vers Olivier Le Nézet. Et c’est désormais une défiance tenace qui s’est installée entre la base et son principal représentant.
Est-ce parce que la banderole est visible depuis sa fenêtre ? Olivier Le Nézet a en tout cas changé le lieu de notre rendez-vous, au dernier moment. Plutôt que son bureau du port de Lorient, ce sera finalement, ce vendredi 8 mars 2024 dans l’après-midi, au comité départemental des pêches – qu’il préside également – situé à une centaine de mètres plus loin. C’est l’avantage d’avoir autant de mandats : on peut changer de bureau comme on change de casquette. Lui préfère insister sur la charge de travail : « Il n’y a jamais de week-end ni de vacances, ça fait neuf ans que je n’ai pas stoppé. Je suis un boulimique de boulot, comme tout marin qui se respecte. Dormir trois ou quatre heures, ça ne me dérange pas du tout. Mon père me disait toujours : dormir, c’est mourir, pose-t-il d’emblée, après une ferme poignée de main, la gourmette en évidence sous sa chemise. Moi, je ne suis pas là pour te raconter des sucettes : les choses que je fais, c’est dans l’intérêt général de tous, des pêcheurs comme du port, comme du territoire, je suis là pour ça. »
Mais peut-on contenter tout le monde lorsqu’on représente autant d’intérêts différents ? L’un de ses prédécesseurs à la tête de la SEM en doute : « Un port de pêche, ce ne sont pas que des pêcheurs. C’est aussi une criée avec des mareyeurs, des poissonniers, des transporteurs, etc. Autrement dit, tout un écosystème d’acteurs avec des intérêts fortement contradictoires. » Exemple : Laurent Tréguier, pêcheur de langoustines, a vu flamber les taxes portuaires appliquées à son chalutier Côte d’Ambre. « Le rôle du Comité des pêches serait précisément de nous défendre face à cette inflation. Comment est-ce possible, si c’est le même bonhomme ? », interroge le pêcheur lorientais. Or, en tant que président de la société gestionnaire de l’infrastructure, Olivier Le Nézet fait valoir des arguments économiques pour justifier l’augmentation.
La chèvre et le chou
Olivier Le Nézet pratique pourtant cet exercice d’équilibriste à l’échelle nationale également : d’un côté, la profession reste très majoritairement dite « artisanale », puisque 80 % des embarcations mesurent moins de douze mètres en métropole, mais, de l’autre, les volumes sont assurés par les grands navires industriels, accusés de surexploiter la ressource et de ne pas jouer à armes égales avec les petits pêcheurs. Si bien que ces derniers finissent par douter de la volonté de Le Nézet de défendre leurs intérêts. Lui-même ménage la chèvre et le chou : « Aucune criée, aucun mareyeur ne peut survivre sur un modèle basé uniquement sur la pêche artisanale. C’est un cercle vicieux : si tu n’as pas les volumes suffisants, il n’y a plus d’acheteurs. Si tu n’as plus d’acheteurs, à la fin, il n’y a plus de pêche artisanale… C’est pourquoi je défends une pêche française qui va de la toute petite pêche à pied à la grande pêche industrielle. »
Or, ces derniers mois, plusieurs prises de position ont alimenté cette crise de la représentation. À commencer par le projet de mégaport industriel au sultanat d’Oman, dans lequel la SEM s’est lancée en apportant expertise technique et investissement financier. L’objectif : participer à la construction et au développement de l’infrastructure de la péninsule arabique d’une part, et s’assurer d’autre part « une opportunité […] pour l’importation de poisson », comme l’avait d’abord expliqué Fabrice Loher, le président de l’agglomération lorientaise et, à ce titre, actionnaire majoritaire du port, lors de la soirée inaugurale du salon Itechmer des professionnels de la pêche, en octobre 2023.
Des tonnes de poissons d’Oman vendus en France via le port de Lorient ? Tollé sur les quais, où chaque année la part de la pêche locale diminue dans le volume des transactions de la criée par rapport à la part de poissons importés. Depuis, devant la polémique, les responsables ont rétropédalé : il n’aurait « jamais » été question d’importations. « C’est débile ! », s’emporte Le Nézet, qui ne dénonce pas pour autant le reste du projet et prend surtout bien soin de rappeler en préambule qu’il n’est « pas la bonne personne » pour en parler : « Le processus était déjà enclenché avant que j’arrive. »
On ne peut pas être patron de tout mais responsable de rien ! Ne devrait-on pas soutenir la filière locale ?
Damien Girard, député du Morbihan et ex-conseiller municipal écologiste d’opposition à Lorient
La posture, sur un fil, agace Damien Girard, alors conseiller municipal écologiste d’opposition à Lorient, démissionnaire le 22 juillet 2024 après avoir été élu député de la 5e circonscription du Morbihan : « On ne peut pas être patron de tout mais responsable de rien ! » Siégeant également au conseil d’administration de la SEM, il interroge la vision que dessine un tel projet : « Le port de Lorient a-t-il vocation à devenir un prestataire de services pour des complexes industriels, à l’étranger ? Ne devrait-on pas plutôt soutenir la filière locale ? »
Le même genre de question s’est posé avec l’Annelies-Ilena, un chalutier de 145 mètres de long doté d’un filet de 600 mètres capable d’avaler 400 tonnes de poissons par jour – huit fois ce que David Le Quintrec pêche sur toute une année. En janvier 2024, la Compagnie des pêches de Saint-Malo a investi plus de 15 millions d’euros pour installer à son bord une unité de production de « surimi-base », la pâte nécessaire à la production des bâtonnets orange. Mais le navire-usine continue de battre pavillon polonais, car exploité en partenariat avec l’armement Atlantex. Pour pouvoir continuer à pêcher le merlan bleu, qui entre dans la composition du surimi, la Compagnie des pêches de Saint-Malo cherche donc à transférer les quotas qu’elle utilisait sur son précédent bateau, le Joseph Roty II, arrivé en fin de carrière.
Une hérésie, estime Charles Braine, président de l’association Pleine Mer, qui a mené la fronde sur ce dossier : « Non seulement la pêche française perdrait une partie de ses quotas au profit de la Pologne mais, en plus, le poisson a vocation à être ensuite débarqué aux Pays-Bas. Où est donc le bénéfice pour la filière ? Sans compter les impacts environnementaux d’une telle entreprise… » Interrogé sur le sujet plusieurs semaines avant que l’État refuse finalement cette demande de transfert, fin mai 2024, Olivier Le Nézet s’abstient de nouveau. « Je n’ai pas à prendre position, c’est l’État qui gère les quotas. Le Comité national des pêches n’a aucune compétence en la matière. » Malgré nos relances, impossible de savoir si ce genre de pêche extrêmement intensive correspond au modèle défendu par l’ancien marin.
Un silence qu’il faut peut-être interpréter au regard du rapport de forces à l’intérieur même du Comité : en décembre 2023, quelques jours avant d’annoncer l’investissement dans l’Annelies-Ilena, le directeur général de la Compagnie des pêches de Saint-Malo, Florian Soisson, a été élu, à la surprise générale, au poste de vice-président du CNPMEM. « Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette histoire n’a pas été très transparente, estime Dimitri Rogoff, président du comité régional des pêches de Normandie, et l’un des candidats malheureux. On a découvert sa candidature le matin de l’élection. On ne l’avait jamais vu au Comité, personne ne savait qu’il était éligible. » Le Nézet balaie d’un revers de main : « Il y a un vote, trois candidats et un élu à la fin : c’est la démocratie qui a parlé. Basta. »
Ironie de l’histoire
Depuis, cette élection a été critiquée par d’autres membres du bureau du Comité national. Car elle ravive un spectre qui hante la pêche française, celui des « Hollandais » : les groupes néerlandais Parlevliet & Van der Plas et Cornelis Vrolijk, qui font progressivement main basse sur les plus grands armements français. Parlevliet & Van der Plas est actionnaire, entre autres, de la Compagnie de Saint-Malo – que dirige Florian Soisson. Mais aussi de l’armement boulonnais Euronor, dirigé par Xavier Leduc, président de l’Union des armateurs à la pêche de France (UAPF), le syndicat patronal des armateurs industriels, qui siège également au Comité national des pêches. Ironie de l’histoire, en 2016, Olivier Le Nézet s’était ému dans Ouest-France de ces « bijoux de famille de la France qui partent » sous capitaux étrangers. Des mises en garde qu’il n’a pas renouvelées depuis qu’il a été élu, il y a deux ans, à la tête du CNPMEM.
« La réalité, c’est que si Olivier Le Nézet en est arrivé là, c’est aussi parce que personne ne voulait vraiment s’y coller… », admet un membre du comité régional des pêches de Bretagne, dont Le Nézet a pris la présidence en 2012. « Il n’est pas venu avec une AK-47 dans les bureaux pour dire “maintenant, c’est moi le patron” », abonde Tristan Douard, l’ancien directeur de la Scapêche, armateur de la société Mousquetaires, qui possède les plus gros bateaux du port de Lorient et qui en assure jusqu’à un tiers du chiffre d’affaires. Manière de rappeler qu’au regard des taux de participation extrêmement bas aux élections des comités, l’enjeu ne mobilise guère les 15 000 marins pêcheurs français. C’est dans ce contexte que le lobbying de Le Nézet a longtemps fait mouche auprès de sa base : « Olivier est un autodidacte, comme nous, il n’a pas fait de grandes études. C’est un gros bosseur, on ne peut pas lui enlever ça », admet Laurent Tréguier.
En vingt-quatre années passées en mer, à pêcher principalement de la langoustine, dans la grande tradition du chalut lorientais, Le Nézet s’y est fait quelques surnoms peu flatteurs, comme « petit bonhomme », rapport à sa taille, ou encore le « nabot de l’eau », en référence à l’ancien bateau qu’il a repris à son père, le Nadelo, et qui a fini sur les rochers au large de Groix. C’est un virulent cancer, diagnostiqué en 2007, qui a mis fin à sa carrière de marin. Il en est revenu mais a été déclaré « inapte » à la pêche par la médecine du travail. Depuis, il n’a de cesse de répéter qu’il n’a jamais perdu la flamme : « Je n’oublie pas d’où je viens. Tu me donnes la possibilité, je retourne dès demain en mer. »
Cette boulimie de mandats rappelle la fable de la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf.
Durant les premiers temps, sa reconversion a plutôt été appréciée. Sous ses ordres, le comité régional breton – le plus important en France, puisque la région assure près de la moitié, en valeur, de la pêche nationale – s’est développé et professionnalisé, embauchant ses premiers salariés. Mais son appétit pour le pouvoir n’a cessé de croître. « À chaque fois qu’il se rajoute une casquette, on se dit qu’il va bien finir par en lâcher une autre, et puis… non », souffle l’un de ses collaborateurs. À d’autres, cette boulimie de mandats rappelle la fable de la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf. Peut-être aussi parce que le transfuge a su se faire une place dans d’autres réseaux, à l’écart du port.
À Lorient, où un emploi sur six est encore lié à la mer, il a usé de son bagou pour s’attirer la sympathie des cercles politiques. On l’y admire encore aujourd’hui conter ses aventures en Inde – sa fille adoptive y est née, tout comme sa femme, éduquée dans le foyer de Mère Teresa à Calcutta – quand ce ne sont pas les performances de son chien au casting d’Astérix et Obélix. « C’est bien le seul pêcheur que j’ai vu faire la bise à un préfet, raconte un acteur de la vie publique lorientaise. Il a l’art de se mettre les politiques dans la poche. » Et ce, quelle que soit leur couleur.
En témoigne son arrivée à la tête du port : selon les dires de Le Nézet, c’est Loïg Chesnais-Girard, le président socialiste de la région Bretagne, laquelle est co-actionnaire de la SEM, qui l’aurait poussé à candidater – ce que ce dernier, contacté, dément. Avant que, finalement, le président UDI de Lorient Agglomération, actionnaire majoritaire de la SEM, le nomme officiellement, en novembre 2020. Un sens de la conciliation, auréolé depuis l’été 2023 de la Légion d’honneur, remise en mains propres par Emmanuel Macron.
Couronnement breton
D’étiquette partisane, on n’en connaît qu’une à Olivier Le Nézet, celle de la CFDT, avec laquelle il concourt aux élections professionnelles depuis ses débuts. « Tout simplement parce que c’était le syndicat qui était tout proche, rembobine le Lorientais, surpris par la question. J’y suis allé, je suis tombé sur une blonde, Sylvie, et ça a matché. C’est souvent des questions de personnes, au final. » Et peu importe la bannière, pourvu que la victoire soit au bout. Bernard Pérez l’a appris à ses dépens. Le 28 juillet 2022, le Méditerranéen, arrivé en tête au premier tour, pensait remporter l’élection à la présidence du Comité national des pêches. À la surprise générale, c’est le troisième et dernier candidat, un certain Olivier Le Nézet, qui a bénéficié d’un report de voix du candidat CGT, alors deuxième, pour se faire élire au second tour. Pour la première fois, un Breton accède au trône. Le favori déchu évoque aujourd’hui des « tractations qui [l]e dépassent ».
« Ouais, Stéphane, bon, je vois tes SMS pourris que t’envoies à la con, comme d’habitude, un peu à tout le monde. Tu me rappelles s’il te plaît ? J’ai deux mots à te dire. On va discuter un peu. Ou si tu veux, je me déplace, je vais venir te voir. Parce que tu commences vraiment à me casser les couilles. » Stéphane Pochic n’a pas été surpris de recevoir ce message vocal d’Olivier Le Nézet. En s’épanchant sur ses désaccords avec lui – notamment auprès de l’AFP à qui il disait en décembre 2023 qu’« à force d’avoir de multiples casquettes, il en oubli[ait] son rôle principal, défendre les pêcheurs français » –, l’armateur de Loctudy savait à quoi s’attendre. Dans le milieu, les méthodes directes du patron sont connues, en témoignent tous ces interlocuteurs qui ont exigé l’anonymat par « peur des représailles ».
Bas le masque
Pour la députée européenne écologiste Caroline Roose, membre de la commission pêche, le masque est tombé dès la première poignée de main : « Il m’a dit dans les yeux : “Qu’est-ce que je fais, je vous scie la main ?” » En avril 2023, au cours d’une mission parlementaire organisée à Lorient, elle a la désagréable impression d’être suivie à la trace. « Olivier Le Nézet était de tous les rendez-vous, il surveillait tous les échanges que je pouvais avoir, toujours derrière mon dos. » Elle s’étonne de ne pouvoir rencontrer « aucun petit pêcheur », malgré ses demandes répétées. Et lors d’une sortie en mer, Le Nézet lui glisse : « Les députés qui travaillent avec les ONG, on va transmettre leurs votes aux pêcheurs mais, après, faudra pas s’étonner si votre maison brûle », rapporte aujourd’hui Caroline Roose.
Au retour de cette mission, « la pire de [s]on mandat », Caroline Roose dépose une main courante, le 22 avril 2023, dans laquelle elle dénonce « pression et menaces de la part du président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins ». Questionné, Le Nézet répond : « Je n’ai jamais été menaçant, j’ai juste dit qu’il fallait être transparent sur ses votes. On ne peut pas dire qu’on soutient la pêche et avoir des votes qui vont à l’encontre ». Il dénonce en retour « l’immunité parlementaire » qui permettrait à Caroline Roose de porter ce genre d’accusation et de profiter ainsi d’une « tribune ». L’élue n’est pas la seule écologiste à pointer ses pratiques. Claire Nouvian, fondatrice de l’ONG Bloom qui milite pour la protection des écosystèmes marins, a croisé plus d’une fois la route d’Olivier Le Nézet, notamment dans les couloirs européens. Car l’homme a investi ce terrain aussi : en 2013, il a monté sa propre organisation, Blue Fish, afin de faire du contre-lobbying à la campagne menée par Bloom pour interdire le chalutage en eau profonde.
Au Comité des pêches, certains mettent ces dérapages sur le compte du virilisme inhérent au milieu, « très concurrentiel, très dur, [où] tout le monde se tire dans les pattes. Ça forge des caractères, disons, décrypte l’un de ses collaborateurs actuels. Olivier s’est assagi, mais il peut encore être violent, c’est sûr. » Pourra-t-il l’être encore longtemps ? Le 6 mars dernier, un collectif de pêcheurs a déposé les statuts d’une toute nouvelle association, l’Union française des pêcheurs artisans, l’UFPA, qui représente aujourd’hui 140 armements en France. Son objet : la « reconnaissance de la pêche artisanale en tant qu’acteur ancestral de la gestion environnementale, économique et socioculturelle du domaine maritime public français ». Et cette fois, nulle trace d’Olivier Le Nézet à l’organigramme.