Zapotèques en fleurs

Photos par Luvia Lazo Un récit photo de Rémi Bayol
En ligne le 28 avril 2024
Zapotèques en fleurs
Luvia Lazo immortalise les aïeux de la communauté zapotèque, dans l’État mexicain d’Oaxaca, d’où elle est originaire. Une façon, pour cette photographe autodidacte, de documenter la transformation de sa culture et de chérir le souvenir des morts.
Un récit photo en lien avec l’article Cahier d’un retour au pays maya
Luvia Lazo immortalise les aïeux de la communauté zapotèque, dans l’État mexicain d’Oaxaca, d’où elle est originaire. Une façon, pour cette photographe autodidacte, de documenter la transformation de sa culture et de chérir le souvenir des morts.
Un récit photo en lien avec l’article Cahier d’un retour au pays maya
Luvia Lazo a grandi dans le village zapotèque de Teotitlán del Valle, en plein cœur de l’État d’Oaxaca, au Mexique. C’est ici que se concentrent la majorité des membres de cette société préhispanique dont elle fait partie – la troisième du pays après les Nahuas et les Mayas. Depuis 2021, elle photographie les aînés de son village et des environs. Leurs visages, comme celui de Soledad, ici, ne sont jamais montrés. Un parti pris « pour nous obliger à regarder le reste du corps et la manière dont il change avec la vieillesse », indique-t-elle.
C’est l’arrière-grand-père de la photographe qui a inspiré ce projet. Au crépuscule de sa vie, la vue de Domingo s’éteint lentement. « Kanitlow », dit-il à son arrière-petite-fille. En zapotèque, cette expression signifie que les visages s’effacent. Un jour, Luvia Lazo s’absente du foyer familial où elle vit avec lui, pour arpenter les rues de Teotitlán. Elle aperçoit devant le cimetière un tisserand qui lui évoque son aïeul, lui-même ancien fabricant de vêtements. « Mon visage ne sera pas sur l’image ? », s’étonne-t-il quand elle lui demande de se retourner. C’est le premier cliché d’une série qu’elle appellera « Kanitlow ».
Quand Domingo décède en avril 2021, Luvia Lazo est dévastée. Au marché où elle aide ses parents bouchers à tenir leur étal le week-end, elle échange avec les anciens, comme Petra, une vendeuse de tapis qui connaissait le défunt. Ce jour-là, elle la photographie avec des fleurs qu’elle vient tout juste d’acheter : « À cette période, j’étais comme attirée par les aînés. Leurs mains, la forme de leur corps, leur démarche… Tout me rappelait mon arrière-grand-père. »
La photographe engage souvent la conversation avec les personnes âgées en leur parlant de leurs traits et attitudes qui lui rappellent Domingo. Ceux qu’elle connaît « depuis petite » acceptent ensuite volontiers de se faire tirer le portrait dans la rue, même en masquant leur visage. Comme Maria, qui vend des avocats et des fleurs au marché. « Les aînés ne veulent pas se sentir inutiles dans le village. Les photographier a été un moyen de comprendre la manière dont ils réfléchissent, leurs rêves, leur regard sur la vie. »
Cette image a été faite dans la petite ville de San Juan Colorado, à quelques kilomètres de la côte pacifique d’Oaxaca. Au fil de ses projets, la photographe s’attache à documenter les manifestations de sa culture, en se détachant de représentations stéréotypées. « Beaucoup de portraits de membres de ces communautés indigènes ont été réalisés par les anthropologues mexicains, parfois à des fins de classement biologique. »
« En voyant Maria au marché ce jour-là, j’ai tout de suite pensé à une peinture d’Arcimboldo, se souvient Luvia Lazo. Avec ces gousses d’ail qui dépassaient de son panier et ce bouquet qu’elle apportait au cimetière. » Dans la tradition des cultures indigènes mexicaines, les fleurs jouent un rôle important. « Certaines sont pour les morts, d’autres pour l’église ou pour les cérémonies. J’ai beaucoup appris sur la symbolique associée à chaque sorte. »
À San Lucas Quiaviní, village voisin de la capitale de l’État, un vieux fleuriste cueillait des gypsophiles quand Luvia Lazo l’a aperçu depuis sa voiture. Elle lui a acheté un bouquet de ces fleurs parfois appelées « nuage » en espagnol. « Elles sont utilisées pour fleurir les tombes, mais aussi pour les mariages. Ce qui est bizarre ! »
Les vêtements arborés par les aînés photographiés témoignent de la transformation de la culture zapotèque : « Sans m’en rendre compte, j’ai fini par faire un travail presque anthropologique », s’amuse Luvia Lazo qui saisit « les tissus cousus à la main, les vêtements importés, les vestes de marque ». Cet éleveur, qui passe régulièrement devant la maison familiale avec de l’herbe pour ses bêtes, porte des « sandales de gringo ». Son fils vit aux États-Unis, comme de nombreux membres de la communauté partis à Los Angeles ou San Antonio. « Cette photo parle d’une famille séparée par la migration. »
Cette femme revient du marché avec des fleurs pour la fête des morts, drapée d’un « rebozo ». En plus d’être un « puissant symbole de féminité », ce tissu traditionnel peut être utilisé pour se couvrir les cheveux ou porter un bébé. Les tisseurs de laine de Teotitlán sont extrêmement réputés, au point que les tapis, sacs et ponchos sont devenus un atout touristique pour la région. « Ici, chaque famille possède un métier à tisser », explique la photographe.
Luvia Lazo a rencontré Carolin dans la petite ville de San Juan Colorado. Cette vieille dame aux cheveux sombres est, elle, d’origine mixtèque, un autre peuple du pays. « Nous étions en train de parler de Domingo, quand le papillon est arrivé. Il ne partait pas. Dans sa culture, ils apparaissent quand quelqu’un vient de mourir. Elle m’a dit : “Peut-être est-ce ton arrière-grand-père ?” Je lui ai demandé de se retourner, et je l’ai prise en photo. »