Les patients des hôpitaux assistent bien souvent à l’étrange ballet des blouses blanches anonymes qui, un œil sur la montre, l’autre sur leur dossier médical, délivrent quelques indices cryptiques sur leur état de santé. Comment expliquer que ces lieux de soin puissent être aussi inhospitaliers ? La question taraude Béatrice Schaad depuis qu’elle a rejoint le Chuv (Centre hospitalier universitaire vaudois), le plus grand hôpital de Lausanne, en Suisse, il y a quinze ans. Jusqu’en décembre 2023, elle y occupait le poste de cheffe du service communication. Une mission qui, au premier abord, ne prédestinait pas cette ancienne journaliste de 57 ans à disséquer l’expérience des soignés.
À la suite d’articles critiques sur la prise en charge au Chuv, la communicante se fait l’observatrice des failles du système : parcours de soins fragmentés, communication parcellaire, complexité de l’organisation. « On demande aux communicants de mettre en avant ce qui fonctionne. Mais la médecine, c’est aussi des hésitations et des échecs. Si l’on entretient l’idée qu’elle arrive toujours à répondre aux besoins du corps et de l’âme, les patients risquent d’exiger l’impossible. Cela devient générateur de conflit. »
Violences verbales
Alors Béatrice Schaad a décidé de prendre son rôle au pied de la lettre. « En surface », l’ancienne étudiante de Harvard s’assure que son service fasse briller la vitrine à coups de communiqués de presse. Mais à côté, Béatrice Schaad ouvre dès les premiers mois un bureau des doléances avec le soutien de sa direction. Une idée inspirée par ses années américaines et sa rencontre avec le patron du service qualité de l’hôpital de Boston. Ce professionnel scrupuleux avait eu l’idée de transformer ses pauses déjeuner du vendredi en séances d’écoute de patients exaspérés.
Au Chuv, quatre médiateurs accueillent patients, proches et professionnels du soin sans rendez-vous. Leurs reproches portent souvent sur le manque de considération de la part des soignants, qui va parfois jusqu’aux violences verbales ou à une remise en cause de leurs choix thérapeutiques.
Pour classer les récriminations – plus de 6 000 depuis 2012 –, cette érudite lectrice de philosophie a créé une taxonomie ad hoc. Certaines plaintes sont classifiées comme relevant du clinique – « j’ai attendu pendant des heures alors que j’avais très mal » –, d’autres sont d’ordre organisationnel ou relationnel – « on ne m’a même pas regardé ». Le dispositif, d’une ampleur unique en Suisse, va bien au-delà des commissions des usagers des hôpitaux français, qui ne traitent pas autant de données.
Pour transmettre son savoir, Béatrice Schaad enseigne désormais à l’université en s’appuyant sur les témoignages recueillis. S’il est difficile d’évaluer son impact direct sur le bien-être à l’hôpital de Lausanne, ce lieu d’écoute a fait évoluer les pratiques. Récemment, plusieurs hôpitaux de Suisse romande ont mis en place des dispositifs similaires. Ainsi le signalement d’un patient qui, après son opération pour une tumeur au cerveau, a reçu un rappel de son rendez-vous pour être opéré… la semaine suivante, a permis de remonter à la racine d’un dysfonctionnement informatique.