À chacun de ses passages dans des podcasts américains, elle fait sensation. La voix est assurée, le propos limpide, et l’audience conquise. La recette de cette psychologue installée en Californie tient en une formule que connaissent déjà les neurosciences, mais qu’elle est une des premières à livrer aussi distinctement au grand public : « La douleur n’est pas qu’une sensation du corps, c’est un phénomène biopsychosocial. » Son livre publié en 2020, The Pain Management Workbook (« Le manuel pour gérer la douleur »), non traduit, a été un succès de librairie.
Biopsychosocial ? Le gros mot est lâché, et Rachel Zoffness prend plaisir à l’expliciter, haussements de sourcils à l’appui. L’idée communément admise est que la douleur serait exclusivement créée par la partie du corps qui souffre, le dos ou le genou, par exemple – c’est la partie bio.
Ses études en neurosciences, menées il y a plus de vingt ans, lui ont appris que « bien d’autres facteurs contribuent à la sensation de douleur » : l’humeur, le stress, l’anxiété, les traumas, la confiance dans notre capacité à se rétablir. Tout ceci forme, pour reprendre son image fétiche, les « ingrédients » de « chaque recette douloureuse ». Pédagogue, Rachel Zoffness aime donner l’exemple banal du pied que l’on cogne contre un meuble dans son salon. « Si cela arrive dans un moment d’anxiété, vous ressentirez plus intensément la douleur que si vous êtes dans un cadre apaisant. » Voilà pour la partie psychosociale.
Cohortes d’addicts
Une définition aux conséquences majeures pour le traitement des douleurs chroniques, réalise-t-elle pendant ses années de clinique post-thèse, où elle ouvre son cabinet privé. « Tant que l’on réduit la douleur chronique à sa dimension biomédicale, on ne pensera à la traiter qu’avec la chirurgie et les antidouleurs. » Or, aux États-Unis, la prescription systématique d’opioïdes à partir des années 1990 a créé des cohortes d’addicts et de nombreux décès – 120 000 morts de surdose, rien qu’en 2023.
À l’évocation de cette épidémie, le ton placide laisse place à la colère chez Rachel Zoffness. « Pourquoi la vérité à propos de la douleur est-elle restée confidentielle, cantonnée à des articles de recherche ? » La vulgarisatrice incrimine la vision réductrice de la douleur promue par les labos pharmaceutiques et leurs « milliards de dollars de marketing ».
Alimentation et méditation
Avec ses patients, Rachel Zoffness intervient sur les facteurs psychosociaux qui participent de leur état douloureux. Ici, un programme jour par jour pour améliorer l’alimentation ou la qualité du sommeil, là des efforts pour reprendre une activité sociale dont la douleur avait privé le patient. Lui est aussi venue l’idée d’y ajouter de la méditation – qu’elle pratique elle-même chaque matin – dont la littérature neuroscientifique a démontré les vertus pour réduire le stress, ce grand pourvoyeur de migraines, de maux d’estomac ou de dos. Régulièrement, elle se heurte au scepticisme de ceux qui, à l’idée de consulter une psy et de méditer, roulent des yeux. « Ils pensent que cela revient à dire que la douleur n’est que dans leur tête, qu’elle n’est pas réelle. »
En 2012, une médecin lui envoie un ado victime de sévères migraines pour lequel aucune médication ne fonctionne. En six mois, sa méthode fait des merveilles, et le jeune retrouve sa vie sociale, raconte-t-elle non sans fierté. Le mot se répand dans la baie de San Francisco, et elle voit affluer de nombreux patients, jeunes d’abord, puis de tous âges.
Aujourd’hui, face à la centaine de candidats sur liste d’attente, le cabinet du docteur Zoffness ne prend plus de nouveaux patients. La psychologue aux faux airs de Joconde, qui ne veut pas être vue comme une inventrice, mais plutôt comme une passeuse de science, prépare actuellement un nouveau livre sur la douleur. Pas un guide pratique cette fois-ci, mais un ouvrage théorique. « C’est le projet le plus dur sur lequel j’ai eu à travailler jusqu’ici. » Dur… ou douloureux ?