Jean-François Bloc, maire sur le front de mer

Écrit par Rémi Bayol Illustré par Chez Gertrud
Édition de juin 2024
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Jean-François Bloc, maire sur le front de mer
À Quiberville-sur-Mer, en Normandie, un élu a choisi de laisser entrer la mer dans les terres de sa commune. Un pari innovant.
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Plutôt que de multiplier les aménagements contre la montée des eaux de la Manche, l’élu normand Jean-François Bloc a choisi de laisser entrer la mer dans les terres de sa commune. Un pari innovant aux allures de parcours du combattant.
Article à retrouver dans la revue XXI n° 65, Sport & luxe
4 minutes de lecture

À Quiberville-sur-Mer, tout le monde connaît Jean-François Bloc. Voilà trente-sept ans que l’ancien cadre aux cheveux grisonnants est le maire de ce village de 500 habitants, en Seine-Maritime. Lorsqu’il a été élu, cet enfant du coin ne se doutait pas qu’il serait le premier édile de France à transformer sa commune pour l’adapter à la montée du niveau de la mer.

Le village se trouve sur l’embouchure de la Saâne, un fleuve côtier parcourant 41 kilomètres à travers les prairies normandes avant de se jeter dans la Manche. Le lieu n’a plus rien de spectaculaire ni de naturel depuis qu’une digue y a été érigée au XIXe siècle. Avant de se déverser dans la mer, la Sâane emprunte un tuyau d’un mètre cinquante de large percé dans ce mur, désormais en béton.

Un camping à sauver

C’est juste derrière cette digue, qui supporte la départementale et sert de barrière contre les grandes marées, que le camping municipal a été installé dans les années 1970. La montée du niveau de la mer n’était alors pas d’actualité, ni pour la population ni pour les touristes, grisés par l’obtention d’une quatrième semaine de congés. Devenu la principale source de revenus du bourg, le camping de la Plage a pu rapporter jusqu’à 60  000 euros par an. Personne n’a pensé que son existence pourrait être un jour menacée. Par la mer d’un côté, et par les crues invasives de la rivière de l’autre. Lors de ses premiers mandats, le maire, optimiste et combatif, s’est contenté de recharger la plage en galets pour la protéger de l’érosion grandissante due à la montée des eaux : « Je voulais montrer à la nature ce que je savais faire. »

Mais les illusions de l’édile sont douchées durant l’hiver 1999. En trois jours, une tempête fait sortir la Sâane de son lit, laissant caravanes et bâtiments du camping sous l’eau. Le conduit aménagé pour laisser s’écouler la rivière sous la route de la plage s’est avéré trop étroit pour évacuer les torrents d’eau responsables de la crue.

Il a pourtant fallu dix ans de plus pour que Jean-François Bloc prenne son « courage politique » à deux mains et accepte l’idée que son coin de paradis normand « allait être rattrapé par la nature ». La laisser reprendre ses droits en rétablissant une véritable embouchure est alors apparu comme la seule solution. Après s’être opposé, faute de moyens, à un premier projet de reconnexion de la Saâne à la Manche, impliquant de déplacer le camping pour rendre à la rivière cette zone inondable, l’élu finit par s’en faire l’ambassadeur.

Des administrés à convaincre

La décennie suivante relève du parcours du combattant, car aucune politique publique n’a anticipé cette problématique. Convaincre les administrés, conduire des études et, surtout, chercher des financements : Jean-François Bloc turbine derrière les murs en briques et galets de l’hôtel de ville et au conseil régional de Normandie, où il est élu. Il parvient à trouver des subventions européennes, régionales et départementales pour couvrir le déplacement de son lucratif équipement touristique, qui s’élève à 8,6 millions d’euros. « Sans la légitimité incarnée par un maire, vous n’avez pas de relais », analyse aujourd’hui Régis Leymarie, délégué du Conservatoire du littoral, à la tête de cette mission commando.

Grâce au rachat de six hectares de terres à des agriculteurs, un nouveau camping a vu le jour l’été dernier, à 700 mètres de la plage. Fin 2024, la route-digue de la mer va être cassée sur dix mètres pour élargir l’embouchure, et un pont sera construit pour permettre le passage des piétons et des voitures. 

Ce réaménagement vertueux pour la biodiversité fait des émules chez les élus normands, bretons et outre-marins passés par Quiberville pour s’inspirer. Mais le chemin est encore long : « Il faut que l’État trouve les moyens de nous aider ; avec des prêts à taux zéro pour les dossiers liés au changement climatique et l’aide de la Banque des territoires », martèle Jean-François Bloc, qui est allé porter le message à Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique. 

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