Ça sonne faux à Bangui

Écrit par Florent Vergnes Illustré par Vincent Roché
Ça sonne faux à Bangui
Un bonhomme de neige au mois d’août
Épisode 1
Un bonhomme de neige au mois d’août
Russafrique (1/3). Tout a commencé par une Russie en quête de soutien international. Et par un continent africain en proie à la frustration.
Ça sonne faux à Bangui
Épisode 2
Ça sonne faux à Bangui
Russafrique (2/3). Les mercenaires de Wagner investissent rapidement la Centrafrique. Et déclarent la guerre de l’information.
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« Vive la Russie ! Vive Poutine ! »
Épisode 3
« Vive la Russie ! Vive Poutine ! »
Russafrique (3/3). Fini le temps des formations et de la protection. Début 2021, Wagner fait siffler les balles en Centrafrique.
Les mercenaires de Wagner investissent rapidement la Centrafrique, creusant leur sillon auprès des groupes armés mafieux ou prospectant les sols en quête de richesses. Pendant ce temps, trois journalistes russes sont retrouvés morts dans le centre du pays, et la France en prend pour son grade : la guerre de l’information est déclarée.
Article à retrouver dans cette revue

Les commanditaires… un nom commence à résonner dans le brouhaha banguissois. Ce même nom courait déjà sur les lèvres, de Khartoum à Tripoli, jusqu’à Washington et on l’entendra même à Bamako. Ce nom, tu le connais très bien : Evgueni Prigojine. Considéré par la CIA comme le directeur de Wagner, l’oligarque a débuté sa carrière en 1990 avec un restaurant de hot-dog, puis a prospéré dans la logistique et l’événementiel pour les réceptions du Kremlin. En 2013, il se spécialise dans les actions de désinformation de grande envergure et les opérations paramilitaires en s’implantant dans le Donbass ukrainien, en Syrie et en Libye. De la ­saucisse au ­mercenariat, il n’y a qu’un pas. 

Juste en dessous se trouve Dmitri ­Outkine, directeur des opérations. Ses épaules musculeuses tatouées du sceau de la Waffen-SS sont venues plusieurs fois entre 2018 et 2020 prendre l’ombre sous les manguiers de l’état-major centrafricain, bien loin du froid de Saint-Pétersbourg d’où il est lui aussi originaire. Et pour finir, Evgueni Khodotov, ancien membre des forces de sécurité de la même ville. Il s’est, entre autres, spécialisé dans les pierres précieuses. Il a déjà fait ses classes au ­Soudan avec une société aurifère et ouvre, en octobre 2017, une société d’extraction de diamants à Bangui.

Mélange des genres

Plus on creuse, plus on découvre des choses. On apprend que les Russes, eux aussi, creusent. Un peu partout. Dans les concessions minières que le gouvernement leur octroie ou en zone de conflit, là où le diamant est illégal. Sous couvert de convoi humanitaire, Wagner se balade de ville en ville en hélicoptère ou en camion, se rapproche des chefs des groupes armés mafieux et entame des sondages géologiques. Dans une vidéo de promotion, entre deux distributions menées par des armoires à glace, on voit un jeune type rasé, en treillis, jongler avec des machettes. Derrière ces convois, ce sont des centaines de nouveaux mercenaires et leurs armes qui passent illégalement la frontière entre la Centrafrique et le Soudan, et commencent à créer des bases opérationnelles un peu partout dans le pays. Ils s’établissent notamment à ­Ndassima en 2018, une mine d’or artisanale à l’est où ils entament une cohabitation avec les groupes armés. Quand il s’agit de ­précieuses petites pierres, le mélange des genres ne leur fait pas peur.

Le diamant centrafricain a toujours fait tourner les têtes et les rotatives. Alors quand mes collègues et moi sortons l’histoire dans les journaux, ça s’emballe à Bangui. Les journalistes internationaux défilent dans la capitale pour essayer de parler aux gens qui ont vu l’ours, le prendre en photo, ou récupérer une exclusivité des ambassades occidentales. La presse titre sans retenue sur la « nouvelle guerre froide », et les articles sur le diamant s’enchaînent.

Pour avoir sillonné les principales zones diamantifères de Centrafrique, je sais que les gisements des ressources fossiles y sont fantasmés.

Nos articles finissent par atteindre ­Moscou, où Dossier Center, le site d’investigation d’un oligarque russe d’opposition, mandate Kirill, Orkhan et Djemal pour enquêter dans le pays qui n’existe pas. ­Juillet 2018, ton frère se pose sur le tarmac de Bangui M’Poko. J’imagine facilement son étonnement derrière son hublot, à la vue de ce petit aéroport qui semble perdu au milieu de rien. Les momies de coucous décrépis, ensablées depuis des décennies, les cargos logistiques des ONG jaunis par le soleil et la poussière, et parfois un gros Iliouchine qui fait passer les hélicoptères des Nations unies pour des jouets. Quand la porte s’ouvre, la chaleur de plomb l’écrase. Puis la poussière lui pique les yeux. L’odeur de la fumée le prend enfin à la gorge. Quand il traverse à pied le tarmac d’un pas lent, le soleil lui hurle dessus. Il part enquêter du côté de Ndassima, à propos des bruits de cuisine entre les hommes de Prigojine, les groupes armés et le gouvernement. 

Pour avoir sillonné les principales zones diamantifères de Centrafrique, je sais que les gisements des ressources fossiles y sont fantasmés. Dans les faits, il s’agit d’exploitations artisanales dans des zones difficiles d’accès, ouvertes à coups de barre à mine, au fond desquelles repose du diamant alluvionnaire. Si un exploitant du nord du pays peut sortir de terre un bocal par mois, ça reste difficilement rentable pour une entreprise internationale ou un État. Ici, les principales richesses sont le bois et le bœuf. Mais c’est surtout l’absence de droit et la corruption généralisée qui attirent les entreprises, leur permettant de blanchir leur argent en toute intimité.

Faste kitsch

Fort de ce constat, je me demande ce qu’ils foutent là, ces mercenaires. À notre grande surprise, ils décident enfin d’ouvrir la communication aux journalistes. Pour moi, c’est donc la première rencontre avec le conseiller spécial à la défense, Valery Zakharov, représentant des instructeurs civils russes en Centrafrique auprès du président Touadéra. Rendez-vous est pris au Ledger Plaza, hôtel aux murs en faux marbre, serveurs en costume de pingouin, avec son croque-monsieur à 15 euros, sa piscine, son casino, sa forte odeur de poussière et de colonialisme. Le faste kitsch y est tel que les rebelles en ont fait leur palais quand ils ont pris la capitale en 2013. Ils ne se sont pas trop trompés : le Ledger est le relais de la pègre internationale dans le pays, l’endroit où les trafics mafieux de la région se scellent d’une poignée de main. Chaque fois que ça sent le soufre, les rendez-vous se passent au Ledger.

Alors quand je pénètre sur la terrasse en teck, je ne suis pas étonné d’y voir Zakharov ; un homme massif, qui se lève en équilibre précaire sur deux guiboles, tout le poids réparti sur le haut du corps. Tu me disais qu’il n’avait pas l’air d’un type méchant. Tu n’as pas dû voir beaucoup de James Bond… Dans les couloirs, il se murmure qu’il a tendance à pointer son 9 mm un peu trop facilement sur le front des outsiders du gouvernement.

Les yeux bleu argent, une tête sans cou enfoncée dans ses épaules, Zakharov a le sourire aussi chaleureux que Poutine, avec qui il partage quelques traits. Il est accompagné de son traducteur, Dimitri. Ce soir-là, à l’heure même où ton frère est tué, Zakharov, penché de tout son poids sur son Perrier citron, me dit : « Nous, ce que nous voulons, c’est déployer l’armée à la frontière du Tchad. Mettre en place des accords de paix. Pourquoi pas essayer de calmer les tensions entre éleveurs et agriculteurs. » Merde, c’est que le gars connaît bien son dossier. S’il n’a pas l’air au top physiquement, son regard brille d’une intelligence peu commune. J’aime bien le personnage. « Et pour le diamant ? » Avec une sincérité étonnante et un sourire suffisant, il me glisse : « On a fait des explorations géologiques, il n’y a pas de kimberlite ici. Ce n’est pas très intéressant pour une exploitation commerciale. » On est d’accord là-dessus. Il hausse les épaules, la bouche de travers « On verra… »

Il est interrompu par un appel. Alors que trois journalistes se font abattre à bout portant un peu plus au nord, et que tu finis Bad Lieutenant, je range mes affaires et retourne chez moi, plus perdu qu’avant. Si ce n’est pas pour le diamant, alors encore une fois, qu’est-ce qu’ils foutent là, ces Russes ? 

Je ne t’apprends rien, en brousse le carburant représente un meilleur butin que des caméras.

La suite de l’histoire, Roman, tu ne la connais que trop bien. Kirill, Orkhan et Aleksandr, laissés dans la poussière et les hautes herbes à Sibut, 200 kilomètres au nord-est de Ndassima, leur destination initiale dont ils ont été détournés. La caméra cachée dans le rétroviseur de la voiture, disparue. Les jerricans de carburant, encore là. Le chauffeur s’en sort miraculeusement. La version officielle parle d’une attaque de bandits parlant arabe. Je ne t’apprends rien, en brousse le carburant représente un meilleur butin que des caméras. Et bien peu parlent arabe au quotidien en ­Centrafrique, on n’est pas en Syrie. À la barrière de la ville de Sibut, les militaires centrafricains disent avoir vu une voiture conduite par un gendarme qui trimballait trois Blancs revenir dans l’autre sens, une heure après le passage de ton frère. 

Guet-apens

Au lendemain de leur mort, dans le bâtiment au poétique nom de « building administratif », je retrouve le conseiller spécial Valery Zakharov, accompagné de Viktor Tokmakov, chargé d’affaires russe, et Ange-Maxime Kazagui, ministre de la Communication centrafricain, tous trois aussi gais que pour une cérémonie de crémation. Ils sont tendus. Mon collègue journaliste pose la question fatidique : « Êtes-vous impliqués dans la mort des trois journalistes russes ? » Cabrioles. « Nous allons faire la lumière sur cette affaire et engager une enquête judiciaire. » Le gouvernement russe n’en fera rien. Toi, tu commenceras ton combat à Moscou. Tokmakov te dira quelques jours plus tard que la route où ton frère est mort est considérée comme « sûre ». Lui-même, à mon avis, était dépassé par l’arrivée de Wagner.

Ria Fan, média de propagande en ligne d’Evgueni Prigojine, est vite pointé du doigt. Un de ses journalistes est accusé d’avoir mis en contact ton frère et son équipe avec un inconnu qui les a guidés jusqu’au guet-apens, par le biais d’une messagerie instantanée. Le site d’investigation Dossier Center pour lequel ton frère travaillait nous dira que ce journaliste est un spécialiste des fake news, qu’il fabrique des histoires de toutes pièces en Syrie à la gloire de la Russie.

Pour allumer des contre-feux, Ria Fan se met alors à créer des théories fumeuses ou monter des témoignages à charge, accuser ton frère et son équipe d’être des amateurs, les journalistes français, des meurtriers. Wagner entre dans une guerre informationnelle et va sérieusement faire turbiner la machine à propagande, quitte à se contredire parfois. À ce moment-là, je ne compte plus le nombre d’appels et de messages de journalistes russes qui ont essayé de se procurer des infos, m’en donner des fausses ou tenter de me prêter des propos délirants.

On dit « les musiciens » ou « W » 

Dans la chaleur banguissoise, les accusations publiques et la paranoïa rendent l’atmosphère déjà chargée encore plus lourde. Des voitures blindées commencent à nous suivre. Quand on marche dans la rue, on jette des coups d’œil par-dessus nos épaules. On apprend que Wagner se dote de systèmes d’espionnage de données. Quand on s’écrit, on ne prononce plus leur nom, mais « les musiciens » ou simplement « W ». 

Je dois t’avouer, Roman, que ton tout premier message m’a foutu les jetons. En ces temps-là, le cyrillique me déclenchait une réaction épidermique. Pour moi, les Russes de James Bond, déjà peu servis par le narratif occidental postguerre froide, étaient devenus effrayants. Tous. C’est con. T’es Russe, toi aussi. 

Tu me dis que, depuis le départ de Kirill, tu remarques maintenant plus facilement les ficelles de la propagande. Tu ne cherches plus la vérité, tu veux une version « purifiée » de l’histoire. Tu as raison, car ici, la vérité n’existe plus. Chaque bouche donne la sienne, au gré de ses besoins et intérêts. Dans cette cacophonie, en tant que journaliste, je suis le premier que l’on tente de manipuler. Et si l’art du mensonge et du non-dit est maîtrisé par les élus, les diplomates, les ambassades et la population, la propagande russe n’a pas arrangé les choses. Durant la période qui suit la mort de ton frère, Wagner et les ­Occidentaux commencent à jouer une musique bien dissonante. De tous les côtés, ça sonne faux à Bangui.

Pour le Quai d’Orsay, le dossier centrafricain est alors loin d’être la priorité. Bosser dessus est devenu un bizutage, les jeunes diplomates y restent souvent moins d’un an.

Sur les réseaux sociaux apparaissent des contenus sponsorisés sur le néo-­colonialisme de la France et de ses alliés, sur leurs relations avec les groupes rebelles mafieux. Une usine à trolls – des faux comptes Facebook –, chapeautée par une cellule de communication formée par les Russes, est ouverte en périphérie de ­Bangui. Elle bâtonne publications et commentaires sur les réseaux sociaux, à coups de montages grossiers sur de prétendues exactions françaises : femmes et enfants violés, uranium et or volés, parfois même des accusations de sorcellerie. D’un autre côté, ces comptes vantent les mérites du président Touadéra, leader panafricaniste qui a su déjouer le complot de l’Occident. Dans les premiers mois, la réponse française en ligne est inexistante. Il faut dire que, pour le Quai d’Orsay, le dossier centrafricain est loin d’être la priorité. Bosser dessus est devenu un bizutage, les jeunes diplomates y restent souvent moins d’un an. 

Depuis la fin de l’opération Sangaris en octobre 2016, plus personne ne s’intéresse à Bangui ou n’y investit, le terrain est devenu chasse gardée d’une extrême droite vieillissante, vieux barbouzes et anciens mercenaires déjà ensablés. Et à l’état-major français, on préfère la poudre virile et guerrière aux claviers de la lutte informationnelle, considérée comme lâche et de seconde zone. Mais forcé par le déluge qui inonde la toile africaine, Paris décide d’ouvrir ses propres usines à trolls, pour « débunker », vérifier et contredire, le narratif russe. Parfois, tu me demandes si tu peux faire confiance à tel ou tel ­Centrafricain sur Facebook. Je n’en sais rien. ­

L’armée ­française va mandater in situ des gens pour créer des comptes ­Facebook et Twitter, parfois maladroits, flirtant souvent avec la réalité, débordant sur des propos homophobes, n’hésitant pas à utiliser la méthode Wagner, quitte à bafouer une éthique qu’ils ne cessent pourtant de revendiquer. La manœuvre éclate au grand jour quand, en 2020, Facebook clôture 150 faux comptes, dont 84 liés à l’armée française, et le reste aux Russes. Mais dans une ­Centrafrique où Internet est coûteux, la portée de la nouvelle guerre d’influence sur les réseaux reste minime. Créatifs, les Russes vont développer une stratégie plus pragmatique et bien moins onéreuse. 

Ainsi, quelques semaines après la mort de Kirill, dans un bar de quartier de la capitale, je décolle de la toile cirée Castel un journal incrusté par la bière. En une, trois Blancs, pas très à l’aise, posent au milieu d’enfants un peu perdus dans des t-shirts floqués « Russia 2018 » jusqu’aux chevilles, agrémentés de cœurs rouges. Derrière eux, un trampoline. En gros titre : « Merci la Russie ».

Les nouvelles armes russes : feux d’artifice, vieux blindés, mercenaires déguisés en père Noël et concours de miss. À l’ambassade de France, ça pouffe de rire. Mais sur le terrain, le trampoline fait mouche. 

La première action publique russe du XXIe siècle en Centrafrique, c’est donc un trampoline. Et quelques t-shirts aussi, offerts au lycée Elim Bangui M’Poko très exactement. Un ballon à la main, Valery Zakharov tente un sourire. Un exercice inhabituel pour lui. Voici les nouvelles armes russes : des feux d’artifice, des vieux blindés, des mercenaires déguisés en père Noël, concours de miss et spectacle de polka. À l’ambassade d’une France qui dit aligner des millions d’euros pour le développement, ça pouffe de rire : « C’est une offensive diplomatique à grands coups de rien ! » Mais sur le terrain, le trampoline fait mouche. Posant devant les babioles, le ­pasteur Guerekoyamé Gbangou, visage large, le cou enserré dans son col romain, déclare : « Le retour de la Russie inspire l’espoir. » C’est de cet espoir que les Russes vont abreuver les journaux, les bars et les maquis. 

Je rejette le journal sur la table. « Moi, ce qui me dérange, c’est qu’on ne sait pas lire leur écriture. » Bière Mocaf à la main, un professeur bien portant, affalé dans sa chaise en bois, m’expose son point de vue : « On va devoir parler russe, il faudra tout réapprendre. » Dans les écoles centrafricaines, on écrit français. Parler sango, la langue nationale, est passible de châtiment corporel. Les enfants ont moins de mal à mettre Bordeaux sur une carte que Tiringoulou.

Bouée percée

« La Constitution est française, notre droit pénal est français, nos lois sont françaises. Il va falloir apprendre le droit russe. » Un chauffeur de taxi attablé s’exclame : « Mais la France, c’est notre papa ; comment on peut laisser tomber notre papa ! » Un jeune prof, lunette de soleil sur le nez, col du polo retroussé, rétorque : « Oublier la France, c’est le prix à payer ! Les Russes vont nous coloniser et c’est tant mieux ! Moi, je suis prêt à donner les cours dans leur langue. » Les bouteilles vides s’amassent sur la petite table de bois. « Ils vont entraîner nos braves militaires. Les Français ont donné le pays aux rebelles en refusant de nous donner des armes. Ils nous ont abandonnés ! Les Russes pensent à nous ! Aujourd’hui on est dans le camp des vainqueurs. »

Il paraît que tu fais partie des vainqueurs, Roman. On en pense quoi, à ­Moscou, du sauvetage russe ? Tu me dis qu’on ne parle pas de tout ça, là-bas. Selon toi, citadin ordinaire de la banlieue, l’Afrique, c’est une personne que l’on rencontre parfois dans le métro, distribuant des tracts ou travaillant dans un petit magasin général bon ­marché. C’est déjà inhabituel, me dis-tu. Alors la ­Centrafrique… Pourtant, ses habitants, qui n’ont connu que la guerre et les trafics, veulent sortir de l’oubli. « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », ânonnait Sarkozy dans son discours de Dakar en 2007. La blague. Ici, il s’y noie. Dans ce bar, chacun porte le poids du passé sur ses épaules et un traumatisme dans sa tête. Et si la bouée de Wagner est percée, elle a l’audace d’exister. 

Les Russes le savent, et vont capitaliser sur cet amer espoir que les Centrafricains nourrissent derrière leurs bières tièdes, gazettes en main, en payant des journalistes banguissois 20 000 francs CFA, soit 30 euros, pour un article prorusse… l’équivalent d’un mois de salaire habituel. Ils vont créer en novembre 2018 la radio Lengo Songo qui permet, entre morceaux d’accordéon, cours de langue slave et flashs d’informations influencés, de toucher une plus large population. La propagande bat son plein, soutenue par le gouvernement et suivie par les habitants de la capitale qui veulent croire à un renouveau. J’ai vu la fierté revenir dans les rues de la capitale. Sur les poitrines des jeunes moto-taxis fleurissent les blasons Wagner à la tête de mort, dans les téléphones résonnent le titre « Leto y arbalet » – « l’été des arbalètes ». « Wagner est en route, là où les pièces de monnaie sonnent… j’étais en boîte à Tripoli, vol de Walkyries, J’ai dansé à Benghazi, Donbass, Palmyre. On frappe à la porte, on est là pour un concerto, Maestro ! » Le pire, c’est que j’ai fini par aimer cette chanson.

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